TikTok, le (Re)-Tour
L’actualité récente de TikTok me conduit à vous proposer une nouvelle analyse quant à l’usage possible pour les musées. En effet, la viralité du phénomène « Jackie Weaver » apparu la semaine dernière, se prête tout particulièrement à une explication sur la manière dont ce réseau social doit être utilisé. Seront donc détaillés les 5 R de TikTok et les conduites à tenir pour optimiser un live streaming, à travers un retour sur l’opération #CultureTikTok de décembre 2020, que j’avais abordée dans mon précédent article “TikTok, J’y ou j’y vais pas”.
Une parfaite illustration des 5 R à travers #JackieWeaverYouHaveNoAuthority
Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité TikTok de la semaine dernière, le phénomène « Jackie Weaver » est né suite à une interaction plutôt houleuse entre paroissiens du Handford Parish Council. Lors d’une visio-conférence sur Zoom, Mme Jackie Weaver a littéralement éjecté de la conférence le chairman, et ce sans visiblement en avoir l’autorité !
Au-delà du sujet des règles de bienséance lors de visio-conférences (point que nous aborderons ci-après), il est intéressant d’analyser comment les Tiktokeurs se sont emparés de la saga Jackie Weaver pour reproduire les 5 R : Re-Poster, Re-Mixer, Ré-agir, Re-Jouer, Ré-inventer .
TikTok est en effet le réseau social qui favorise le plus la créativité et le dialogue — plutôt que de diffuser simplement des messages. Il permet une viralité du contenu hors de sa plateforme, à la différence des autres réseaux qui cherchent à tous prix à vous maintenir le plus longtemps dans leur écosystème respectif. À cet effet, il propose donc une série d’outils ou de fonctionnalités permettant de rebondir au maximum sur l’actualité.
· Re-Poster
Pour vous permettre de comprendre l’évolution de la viralité, voici le Re-post de départ de la saga “Jackie Wearver” par le compte @Yahoouk. Les moments forts et les phrases phare sont explicités, mais il s’agit juste d’une reprise de l’existant, n’ayant nécessité ni créativité, ni usage des riches fonctionnalités de TikTok, de la part du Community Manager.
· Re-Mixer
La deuxième étape de la viralité consiste à remixer ce contenu, par exemple en mettant les mots en musique, univers privilégié de TikTok. Plusieurs versions existent dans les différents genres (Rap, folk (#balladforjackieWeaver), à capella (à retrouver sur #jackieweaverthemusical).
La viralité de TiTok est telle qu’elle envahit aussi YouTube avec des créations originales !
· Ré-agir
Cette solution vous permet, grâce à la fonctionnalité « Duo » qui partage l’écran en deux, de montrer votre réaction en direct face à la situation du clip originel. Étonnement, ce n’est pas la solution qui a été la plus favorisée par les Tiktokeurs mais néanmoins en voici un exemple.
· Re-jouer
Cette option consiste à parodier la scène, soit avec un simple lipsync, soit en y rajoutant des filtres ou des accessoires pour pimenter votre version.
· Ré-inventer
Enfin dernière option, la plus créative et la plus éloignée de la situation de départ, où vous devez élaborer des scénarios à partir d’un des éléments de la situation de départ. Ainsi, deux faits ont attiré l’attention des Tiktokeurs : l’allusion par Mme Jackie Wearver à Britney Spears et l’écran noir de la personne sur la visio-conférence sur Zoom. Les Tiktokeurs ont également imaginé les discussions entre paroissiens à la sortie de la conférence.
Dans le premier cas, le contexte musical de TikTok s’y prête parfaitement avec reprise de la chanson « Oups ! I did it again » .
Et sa version TikTok:
Dans le deuxième cas, les Tiktokeurs ont imaginé la réaction de la personne entendant le pugilat, sans se montrer à l’écran.
. Dernière option sans « RE » !
Celle des opportunistes à l’esprit mercantile. Ces derniers ont immédiatement saisi l’occasion de promouvoir leur activité sur Etsy, avec une kyrielle de produits dérivés, dont j’espère qu’une part des bénéfices seront reversés à la paroisse d’Handford. Ce dernier usage montre à quel point la dominante commerciale est en train de monter en puissance sur TikTok, ce que sa version chinoise Douyin et son partenariat avec Shopify laissaient largement penser.
En conclusion, plus vous postez tard par rapport à un évènement, plus vos chances d’émerger dans cette viralité, sera de jouer la carte de la créativité. Je m’attendais à ce que les musées s’emparent de la phrase « You have no authority at all » pour brocarder gentiment quelques conservateurs, mais à ce jour je n’ai rien vu de tel. Plutôt qu’un manque de réactivité par rapport à l’actualité, voyons cela comme une amélioration des relations entre conservateurs et CM de musée, due aux derniers mois très numériques !
Le live streaming sur TikTok, plus professionnel que spontané (contrairement aux idées reçues)
Le live streaming est la deuxième grande tendance sur TikTok (et pas que). Ceux-ci durent en moyenne de 1 à 2 h maximum selon les secteurs. En décembre, dans le cadre de l’opération #CultureTikTok, quelques grandes institutions françaises se sont lancées dans l’exercice (Château de Versailles, Musée du Quai Branly, Cité de l’Architecture etc…).
Je ne reviendrai pas sur ici sur l’aspect stratégique (sujet abordé dans mon premier article), mais je pointerai plutôt les meilleures pratiques, suite aux imperfections constatées en décembre. Voici quelques rappels à prendre en compte pour vos prochains live-streaming.
. La Préparation
Cela semble une lapalissade que de rappeler la nécessité d’une préparation pourtant , depuis dix mois que je suis les premières tentatives des institutions culturelles sur les réseaux chinois (Fliggy, Kuaishou, BiliBili) et désormais sur les réseaux français (TikTok , Twitch, FaceBook, etc), je ne peux m’empêcher de constater le manque de préparation technique, et parfois narratif.
. Règle N°1 : valider son réseau Wifi AVANT le jour J et NE PAS choisir un parcours où il y aura des coupures. C’est extrêmement désagréable pour l’auditeur même si on le prévient au moment où l’on sait que cela va arriver comme c’était le cas du live-streaming TikTok qui s’est déroulé au Quai Branly.
. Règle N°2 : prévoir un minimum d’éclairage des personnes qui prennent la parole. Quand celles-ci se retrouvent dans l’ombre ou en contre-jour total, encore une fois c’est extrêmement désagréable pour le spectateur. Cette consigne est d’ailleurs valable pour vos propres réunions professionnelles et prise de parole sur Zoom ou autres Teams. On ne compte plus le nombre d’intervenants qui ne prennent même pas la peine de préparer leur image.
. Règle N°4 : Préparez un script et ne laissez pas dériver le timing. Le script doit être très précis, non seulement pour la bonne gestion du rythme du live et des enchainements, mais également pour vous limiter de manière certaine au temps imparti. À ce propos, l’intérêt fondamental du live-streaming réside dans l’interaction avec le public. Il est donc important d’allouer des temps de questions/réponses dans votre timing. Enfin, le live streaming sert vos objectifs , ne les oubliez pas en fin de retransmission.
. Règle N°5 : prévoyez en amont un habillage de votre écran, tout particulièrement sur TikTok. Les auditeurs rentrent et sortent tout au long du live. Ils ont donc besoin de références immédiates pour comprendre de quoi il s’agit. Le simple logo de votre musée ne suffira pas, comme en témoigne les questions du chat, et ce d’autant plus que ce secteur est relativement nouveau dans le paysage des TikTokeurs.
Le jour de la diffusion
. Règle N°6: promouvoir son live et poster des rappels à vos abonnés
. Règle N°7: rappeler dès l’entrée, et régulièrement au cours du chat, les règles d’interactions et de bienséances. Le cas Jackie Weaver ne doit pas vous arriver, car n’oubliez pas, n’importe qui peut enregistrer ou prendre des photos de votre diffusion. Cela pourrait déclencher une viralité peu compatible avec votre image.
. Règle N°7 : adapter sa tenue à ses auditeurs. Tiktok est un réseau social du quotidien. Non seulement il vous autorise à être plus décontracté mais il est recommandé de l’être, compte tenu de l’âge moyen de vos interlocuteurs. Si vous souhaitez vous présenter en costume trois pièces, comme le très distingué anthropologue Philippe Charlier du Quai Branly, assumez ouvertement dès le début, pour désamorcer les commentaires qui ne manqueront pas d’apparaitre dans le chat (et malheureusement je n’ai pas eu le temps de faire la photo du meilleur commentaire de la soirée)!
Anticipez les situations gênantes, tout particulièrement si vous réalisez un live streaming en été (et n’hésitez pas à imposer un dress code à vos influenceurs, ils sont là pour servir VOTRE image).
. Règle N°8 : dans la continuité du temps à accorder au Q&A, il est impératif de prévoir une personne pour gérer le chat. Celle-ci servira à la fois de modérateur si la situation dérapait, ou si un sujet extérieur prenait le dessus. Les commentaires sur le rapatriement des collections du Quai Branly ont émaillé le chat , sans heureusement dégénérer. Par ailleurs, le même jour, on annonçait sur le réseau, le COVID de notre président. Les allusions ont donc fusé !
Le modérateur permet également de transmettre les questions les plus pertinentes à la personne devant la caméra, afin que celle-ci puisse rebondir en direct, une fois la question posée. Convenez donc d’un code pour interrompre le discours en cas de questions pertinentes ou prévoyez de répondre aux questions à la fin du live. L’attention aux visiteurs est un facteur primordial du live-streaming, presque plus pertinent que les propos tenus devant le micro. C’est la convivialité et l’engagement de la part de l’institution qui fidéliseront les auditeurs bien plus que le savoir dispensé.
. Règle N°9 : le live est un moyen très important pour accroitre vos revenus. Deux options sont à considérer. L’appel aux dons pendant la diffusion ou la mise en valeurs de vos objets dérivés en lien avec votre contenu. D’où l’intérêt du script en amont.
. Règle 10 : n’oubliez-pas d’enregistrer votre live-streaming, non seulement pour une analyse ultérieure, mais également pour augmenter sa visibilité post-live.
Les jours suivant la diffusion
. Règle N° 11: pour ce faire deux solutions, soit il vous convient et vous le laissez tel quel, soit vous souhaitez l’optimiser pour supprimer les passages à problèmes ou les interactions du chat, si elles ne sont pas en votre faveur. Vous pourrez alors effacer le premier live et reposter le nouveau pour bénéficier des vues de ceux qui n’ont pu être présents le jour J. Il existe également sur certaines plateformes, le moyen de rendre payant la rediffusion alors que le live est gratuit.
Enfin et surtout, ne vous contentez pas d’un seul live pour construire votre communauté. Idéalement, il en faudrait au moins un par semaine pour générer de l’engagement et créer un rendez-vous récurrent avec vos abonnés.
Le live streaming est un révélateur des insuffisances des institutions culturelles en terme d’équipement technique (Wifi, minimum de matériels photographiques, éclairages ou sonores) mais également en terme de formation. Depuis le confinement, la diffusion en ligne semble plus que jamais accessible compte tenu du nombre d’applications ou de plateformes disponibles pour ce faire (OBS la start du live streaming ). Mais le fameux « Zoom fatigue » se fait de plus en plus sentir. Les spectateurs sont devenus exigeants et ne supportent plus des retransmissions manquant de professionnalisme.
Conclusion
Pour conclure sur TikTok, les possibilités sont infinies mais elles nécessitent une réactivité constante (en lien avec votre mission ET l’actualité), ce qui est à mes yeux peu compatible avec la charge de travail des équipes actuelles de musées . Enfin, ne vous laissez pas avoir par l’apparente facilité des moyens mis à votre disposition pour le live-streaming. Cela demande un vrai professionnalisme et beaucoup d’entrainement avant de passer à l’action, si vous ne souhaitez pas décevoir vos communautés. Bon courage !
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Nota bene: les exemples qui illustrent cet article n’ont pas pour but de stigmatiser les musées cités mais de faire progresser l’ensemble du secteur, étant profondémment persuadée que le partage des échecs et imperfections est un bienfait pour tous. J’espère donc que ni le Musée de l’Armée, ni le Quai Branly, ni Chambord ne m’en voudront ;-) .
