Vivatech 2022 et la Culture, inverser le regard
Lorsqu’en 2019 je suis sortie de VivaTech, je n’ai pu m’empêcher d’écrire un article sur la place peu flatteuse de la culture dans ce monde de nouvelles technologies (Et Vivatech et la culture alors ?!). L’édition 2022 n’a pas vraiment inversé la tendance, la culture étant là pour attirer le chaland et très peu pour son caractère disruptif ou novateur. J’ai donc pris le contre-pied en me demandant ce que les différents secteurs présentés pouvaient apporter au secteur culturel et créatif. Voici quelques idées ou rencontres qui ont retenu mon attention.
Quelques idées pour des expérience immersives multi-sensorielles
Qui de la poule ou de l’œuf dans la mise en majesté des métiers d’art sur le stand LVMH ? Est-ce le luxe qui inspirera les futures scénographies muséales ou est-ce les musées qui ont permis aux maisons qui composent le groupe de comprendre les trésors qu’elles avaient dans les mains ? Très certainement un apport mutuel. Quoi qu’il en soit, l’expérience digitale proposée par la maison Fendi proposant de reproduire les gestes de ses différents artisans, était intéressante à plus d’un titre pour certains musées. Assis face à un écran montrant des sacs “Baguette” en cours de réalisation, on glisse ses mains dans une boîte noire. Une fois celles-ci reconnues, elles sont « projetées » à l’écran sous forme d’hologramme, ce qui permet de broder un sac avec des morceaux de corail ou de savamment entrecroiser des fuseaux pour créer un bout de dentelle. On imagine aisément les musées d’Alençon, du Puy ou la Cité de la dentelle de Calais proposant un tel dispositif interactif à l’attention de leurs visiteurs respectifs.
Autre système ingénieux, la boîte à senteurs d’Hennessy, qui proposait une expérience sensorielle personnalisée pour faire découvrir l’étendue de la gamme de cognacs. Une interface tactile, ne nécessitant pas forcément la présence d’un médiateur, permettait, après sélection de certains ingrédients, de déclencher la diffusion de arômes, sans saturer l’espace. Une solution à retenir, alors que se multiplient ces derniers mois les expositions offrant la possibilité de « sentir » des tableaux (Mauritshuis Museum-La Hague : “Smelll the art : Fleeting Scent in colour” ; Museo Nacional del Prado- Madrid, “The Sense of Smell” by Jan Breughel and Rubens”).
Les champagnes Ruinart proposaient un « voyage immersif participatif » piloté par l’artiste Jeppe Hein, carte blanche pour 2022. Celui-ci consistait à associer votre état d’âme (traits de votre visage par reconnaissance faciale et modulation de votre voix par reconnaissance vocale) à une série d’images évocatrices des vignobles de la marque. Chaque personne ayant interagi avec l’expérience rejoignait un « univers méditatif en 3D » synthétisant l’ensemble des émotions humaines. J’en retiens la proposition d’images proposées par une IA puisant dans des collections numériques pour répondre à votre sentiment du moment.
Quelques idées pour associer culture et maladies neuro-dégénératives
L’un des sujets persistants dans les musées depuis l’apparition du COVID est l’apport des arts dans le domaine de la santé. Initié dès 2018 par le Musée des Beaux-arts de Montréal avec ses ordonnances médicales, confirmé par l’organisation mondiale de la santé (« What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being? », et désormais monnaie courante dans les articles de presse (Article du Figaro du 30 juin 2022), il n’est plus à démontrer combien la fréquentation des galeries de musées ou sites patrimoniaux libère du stress et ralentit les facteurs de démence. C’est sur ce dernier point que la rencontre d’une startup nantaise spécialisée dans la stimulation cérébro-sociale m’est apparue comme une opportunité de développement pour les collections de musées en open-access.
Stimul’in a créé un programme qui permet de maintenir active la mémoire de patients atteints de maladies neuro-dégénératives type Alzheimer, en s’appuyant sur les photos personnelles des patients. Si cela permet un travail individuel de remémoration, c’est une solution qui est difficilement applicable à l’échelon d’une maison pour séniors où les soignants n’ont que peu de temps pour un accompagnement personnalisé. En revanche, ces mêmes patients, souvent dans la même tranche d’âge et de la même région, peuvent avoir vécu des événements similaires qui sont des sources de remémoration collective et d’interaction sociale.
Plusieurs musées se lancent désormais dans ce genre d’expériences : Le Memory Café de Conner Prairie aux États-Unis, l’initiative du Rijksmuseum avec son opération « Night Watch on tour » ou encore les ateliers de remémoration menés conjointement entre l’association aliveactivities.org et différentes organisations culturelles anglaises (Brunel’s SS Great Britain Trust à Bristol). L’American Alliance of Museums (AAM) a répertorié plusieurs initiatives de ce genre dans un rapport intitulé : « Museums and creative aging : a healthful partnership ».
On imagine aisément une projection d’images autour de différentes fêtes locales, de lieux emblématiques de chaque région ou d’anciens métiers disparus qui donneraient lieu à des discussions entre résidents. Les collections en Open-Access du musée de Bretagne pourraient tout particulièrement se prêter à un tel programme en déversant dans la solution de Stimul’in des images, sons et vidéo emblématiques de la région . La startup se dit prête à tenter l’expérience. Ne pas hésiter à la contacter !
Des associations plus larges pourraient se créer en unissant des compétences diverses telles que celles d’Artora (actuellement hébergé au 104factory) ou de Rendever, startup qui a développé un programme en réalité virtuelle à destination des séniors.
L’âgisme est vaste champ de développement et d’opportunités pour les musées qui sauront s’investir dans les années à venir, afin d’apporter leur contribution au bien-être de populations vieillissantes.
Quelques tendances sur le Web3, la 5G, le métavers et les NFT
Impossible d’échapper aux buzz-words tout au long du salon. Bien que particulièrement modeste par rapport aux années précédentes, le stand Meta était entièrement tourné vers des expériences en réalité virtuelle et sa vision du Web3.
Parallèlement, McKinsey présentait en avant-première son étude sur l’avenir des métavers et leur potentiel commercial avec des chiffres affolants, plus proches de l’auto-conviction que de la réalité (rapport « Value creation in the metaverse »). Dans le même temps, les crypto-monnaies s’effondraient, ce qui faisait dire au patron de Binance « Nous sommes préparés à un #bitcoin qui tombe à zéro ». Le secteur de l’art n’est même pas mentionné par McKinsey dans les potentiels marchés en développement. Seul le tourisme est présent, mais pas particulièrement en bonne place (« Falling behind » Mc Kinsey-page 21).
Seule la startup Vrroom, qui s’est fait essentiellement connaitre par le concert de Jean-Michel Jarre en décembre 2021 dans une Notre-Dame recomposée en 3D, revendiquait son positionnement comme « métavers du spectacle immersif et des loisirs interactifs ». La startup a la particularité de proposer des développements d’univers 3D sous différentes plateformes : Roblox, Sandbox, Engage ou encore VRchat. Elle peut se révéler un allier intéressant pour les musées qui souhaiteraient mettre un pied dans le métavers. Sa présentation PPT fait apparaitre la Victoire de Samothrace au côté du logo de la RMN. Un indice pour des développements en cours alors que le Centre Des Monuments Nationaux a annoncé ses intentions de métavers “photoréaliste” ? En attendant, sans forcément se lancer dans la création et l’animation d’un univers 3D, il est fortement conseillé de protéger son identité numérique, grâce au site Unstoppable Domains également présent sur le salon.
Si les initiatives autour de métavers culturels étaient rares, en revanche les différents usages de NFT permettaient d’envisager des développements comparables dans le secteur muséal. Pour exemple, une opération de levée de fonds avec le projet des « crypto-bees » de Guerlain, qui a pour but de financer le retour à l’état « naturel » ou « sauvage » de 28 hectares de la Vallée de la Millière dans les Yvelines (projet monté par Yann Arthus-Bertrand et sa fondation Good Planet). Le prix d’entrée annoncé pour les NFT les moins rares est de 20 XTZ, soit 28 euros au cours du 6 juillet 22. Sur le salon, il était possible d’acquérir une « QueenBee », conçue spécialement par l’artiste Roger Kilimanjaro. On imagine des solutions équivalentes pour les musées de sciences ou museum d’histoire naturelle.
Autre usage qui semble prévaloir de plus en plus dans les NFT, la POAP (Proof of Attendance Protocol). Il s’agit d’un NFT que l’on acquiert en participant à un évènement, qu’il soit digital ou physique. Chaque POAP a un design personnalisé, ce qui en fait sa rareté et potentiellement sa convoitise, en fonction de l’événement, de l’artiste qui a créé le design, ou de l’utilité du POAP. Ce type de NFT répond à la norme des jetons non fongibles ERC-721 et contient des métadonnées horodatées en lien avec une image de l’événement. Il est particulièrement approprié pour les musées dans le contexte d’expositions exceptionnelles. Il peut permettre l’accès à des services complémentaires en lien avec un statut de membre, collectionneur de plusieurs POAP. Dans la même idée (et en remplacement des pièces de monnaies à l’effigie d’un monument) , la startup Kerü Projet (hébergée sur le stand de la Poste mais incubée en Pays de Loire) se propose de créer des NFT vendu 2€ comme « souvenir de visite d’un lieu » , avec reversement d’une partie des revenus dégagés pour la restauration de celui-ci.
Enfin, il n’y aura pas de vrai développement du métavers sans mise en place de la 5G, pourtant très peu présente sur VivaTech. Huawei étant définitivement hors course en Europe (bien que présent sur le salon), seul Orange a abordé le sujet lors d’une conférence intitulée « Metavers connecting the real and the virtual ». L’opérateur souhaite se positionner comme un acteur de confiance, à la fois dans son rôle de constructeur d’infrastructures fiables et sécurisées (tout particulièrement vis-à-vis des jeunes créateurs et usagers), mais également dans celui d’évangéliste, les intervenants présents (K. Dussert-Srathe EVP Orange Innovation, Marco de Miroz, The VR Fund et E. Mora, Digital Village) reconnaissant la nécessité d’éduquer les différents secteurs aux bénéfices potentiels de la 5G, tout en rassurant sur les notions de RSE. Evelyne Mora en a profité pour annoncer la création d’un métavers en partenariat avec le Grand Palais RMN et Women World Daily, autour de l’univers de Jules Verne et destiné à servir le secteur de la mode.
Quelques idées technologiques pour répondre à des besoins culturels spécifiques
Vivatech est le temple des solutions technologiques de toutes sortes. Quatre d’entre elles ont retenu mon attention.
Odiho propose une solution d’écoute « en silence » de vidéo dans les galeries, ce en choisissant sa langue ou en bénéficiant de sous-titre pour une « écoute » inclusive. Le principe est simple : la vidéo s’affiche sans son mais avec un QRCode que vous pouvez lire à l’aide de votre smartphone, ce qui vous conduira vers un lien en ligne (Wep-app) générant le son de la vidéo dans votre langue. Cette solution propose également un principe d’audio-guide silencieux pour les médiateurs également accessible avec son propre smartphone ce qui limite les problématiques de contact et de nettoyage des appareils audio.
Lito.io , startup autrichienne qui se propose d’imprimer vos tableaux en 3D. De prime abord, rien d’extraordinaire, sinon la qualité de l’impression qui reproduit les couleurs, craquelures et moindres reliefs de la peinture avec une très grande précision, au point d’organiser un concours proposant de reconnaitre le « vrai » Christ de Giovanni Bellini parmi plusieurs reproductions du même tableau. La startup s’engage à reverser au musée, qui accepte le scan d’un tableau et sa reproduction, une partie du montant payé par l’acheteur de la reproduction.
Plus qu’un moyen de générer de nouvelles sources de revenu (déjà pratiqué par le Van Gogh Museum d’Amsterdam par exemple), la proposition me parait plus intéressante à envisager dans le cadre du développement de salles réservées aux expériences multi-sensorielles où reproductions de statues ou de peintures sont à disposition pour être touchées à volonté. C’est le cas par exemple de l’exposition itinérante « L’art et la matière, prière de toucher » (actuellement aux Beaux-Arts de Rouen) ou de l’exposition « Delinking and Relinking, a multi-sensory collection display » actuellement au Van Abbe Museum à Eindhoven, qui permet de « toucher, sentir et ressentir » une centaine d’œuvres.
Les « faux » ont désormais trouvé leur place au musée pour répondre à des pratiques de plus en plus inclusives (visite pour malvoyants) ou pour développer d’autres accès à l’art, en apprenant à utiliser tous ses sens pour appréhender une œuvre.
OVAOM Sound explorer s’inscrit dans ce développement multisensoriel d’accès à l’art. Il s’agit d’objets que l’on imagine très bien dans les mains des plus petits pour qu’ils traduisent en sons les émotions qu’ils peuvent ressentir devant une œuvre. La Philharmonie de Paris s’est déjà intéressé au projet mais sa place serait toute trouvée au sein du nouveau Studio du Louvre dédié aux enfants, et ce d’autant plus que ces « outils » permettent de travailler la concentration et la relaxation d’enfants à spécificités. Là encore, l’équipe est à l’écoute des musées. Il suffit de les contacter.
Dans un registre plus léger, la startup Art Design Story propose une solution en réalité augmentée qui permet d’ajouter du contenu à des zones spécifiques d’un tableau. En scannant un visage on peut accéder à des données vidéo, audio, photos, texte sur la personne représentée. La reconnaissance d’images existe déjà largement dans différentes applications de musées, mais dans le cas d’Art Design Story, c’est le découpage en zones qui ouvre une nouvelle perspective de médiation pour des tableaux grand format aux multiples protagonistes tels que « les Noces de Cana » de Véronèse (Louvre). L’avantage de la solution est également de pouvoir rajouter ou changer le contenu à partir d’un back-office très simple d’utilisation et de créer des expositions en réalité augmentée géolocalisées. La solution permet également un traitement VIP d’accès à du contenu spécifique. Dans le cadre d’un musée, j’imagine un principe d’escape-game de tableaux en tableaux dont les niveaux se débloqueraient au fur et à mesure que le joueur répond aux énigmes.
Le domaine de la réalité augmentée était particulièrement mis en avant sur l’ensemble du salon avec une foultitude d’oeuvres visibles dès l’entrée en scannant un QRcode. Le Grand Palais immersif avait également sa place sur le stand de la BNP avec une oeuvre visible au même moment, lors des journées “Palais Augmenté”.
Enfin, un dernier sujet était particulièrement développé cet année comparativement aux autres éditions de Vivatech: l’urgence climatique et la sobriété numérique avec ses implications RSE. Le contenu des conférences ou solutions technologiques proposées étaient en revanche plus difficilement en phase avec le secteur des ICC car centrées sur des problématiques industrielles. Néanmoins, le sujet des bâtiments connectés et monitorés grâce à la 5G couplée à l’IoT (Internet of things) et l’intelligence artificielle, répondait aux nouvelles normes muséales facilitant à la fois la cybersécurité, la gestion des flux de visiteurs ou encore les problématiques de conservation des collections avec la maîtrise de l’hygrométrie et de la lumière qui vont de paire avec des économies d’énergie. La solution d’Enerbrain est à ce titre un exemple intéressant à étudier. De même pour AVOB qui rajoute une optimisation de la gestion des parcs informatiques.
Il ne reste plus qu’à espérer pour VivaTech 2023 que les acteurs des ICC redeviennent des acteurs du numérique à part entière, tout particulièrement avec l’essor du Web3 où la place des créateurs devrait être prépondérante.