Un nouveau musée numérique pour une ère nouvelle
Aborder la transformation numérique pour tous types d’institutions culturelles.
Ce n’est un secret pour personne, la COVID, et la crise engendrée par celle-ci, ont fait mondialement bouger les lignes des musées. Confrontés à une fermeture imposée, à la disparition de leurs revenus classiques, et fortement remis en cause dans leurs modes de transmission d’une Histoire qui n’est pas suffisamment inclusive, les musées sont désorientés et cherchent désespérément un nouveau modèle économique. Comme pour le reste de l’économie, celui-ci ne pourra s’envisager sans le numérique. Pour subsister dans cette ère nouvelle, il est désormais impératif de construire une stratégie sur le long terme pour un vrai musée numérique (ne pas confondre avec virtuel !), sous la pression d’une concurrence en ligne féroce, l’attribution de fonds publics ou privés très disputés et une monétisation des contenus loin d’être acquise.
I°) Un confinement révélateur des insuffisances
Si jusqu’en 2010, les musées ont globalement adhéré à l’évolution technologique de la société, depuis, un fossé s’est largement creusé, révélant des retards qui entravent désormais le développement, voire la survie des musées en cette période de pandémie.
· L’Open Access et l’interopérabilité des collections se développent à un rythme très lent alors qu’ils sont les vecteurs d’une diffusion mondiale.
· L’adoption du Machine Learning et de l’intelligence artificielle n’est le fait que d’une petite minorité de grands musées, sans aucun ruissellement sur le secteur.
· La prise en compte des besoins visiteurs dans l’entièreté de leur parcours (pré-visite /visite /post-visite) est encore trop imparfaite.
· D’innombrables heures sont gaspillées pour les mêmes tâches répétitives alors qu’elles pourraient être facilement automatisées (compilation des données de Réseau Sociaux pour n’en citer qu’une).
· Les investissements pour renouveler des infrastructure IT obsolètes, ou des sites web ne répondant plus aux contraintes SEO de Google, sont très sous-estimés.
En révélant, pendant le premier confinement, la nécessité de faire appel aux équipes numériques pour seconder les autres services, l’année 2020 a montré de manière criante l’absence d’une vision numérique globale :
· Absence de stratégie : Le numérique par qui et comment ? Pour quels produits/services ? Pour quelles cibles ? Quels contenus ? Quelle communication ?
· Absence d’infrastructure puissante, sécurisée, évolutive et collaborative pour un travail à distance
· Absence de méthodologies agiles pour des prises de décision rapides
· Absence de formation des équipes !
Dans le Rapport NEMO publié en janvier 2021, 45% des musées interrogés disent n’avoir aucune « culture du numérique » et 80% réclament un soutien pour apprendre à mieux maîtriser outils et pratiques.
2°) En 2021, tout le monde appartient au service numérique
Les insuffisances énumérées ci-dessus proviennent essentiellement d’une prise en compte partielle des enjeux d’une transformation numérique. Contrairement à la perception générale, celle-ci ne touche pas QUE le marketing, la communication ou les outils de médiation in situ, mais s’adresse bien à TOUS les départements et services d’un musée, conservateurs et fonctions administratives incluses (RH, logistique, et finance pour la maitrise des budgets et recherche de mécènes). Le temps est définitivement révolu où le numérique est un département-support pour les autres services.
La priorité de votre transformation doit porter dans un premier temps sur l’optimisation ou la modification de l’existant, pour dégager ensuite le temps nécessaire à la conception de nouveaux services en ligne, potentiellement monétisables. Plutôt que de grands projets perturbateurs, il est préférable de mettre en œuvre de petits changements de façon régulière, afin de lutter contre la peur de l’inconnu.
Vous l’aurez compris je ne fais pas partie de ceux qui prônent à tout prix l’ouverture d’un nouveau réseau social pour conquérir d’hypothétiques cibles GenZ (alors que votre CM est en plein burnout), ou qui pousse à la création d’expériences immersives à l’effet « waouh », rarement en phase avec vos ressources financières actuelles, ou les besoins réels de vos publics (bien-être mental ou contenus scolaires). Mais inversement, je déplore le rejet massif du numérique que certains dirigeants revendiquent haut et fort, amalgamant la saturation de la consommation des écrans dû aux confinements successifs, avec la vision d’un musée physique dénué de toutes avancées technologiques.
Il est temps de se poser pour redéfinir conjointement une stratégie optimisée par des processus clairs et rapides, des ressources centralisées, supportées par des infrastructures solides et évolutives, pour une cohérence des données et messages.
3° Revoir votre stratégie et vos objectifs (numériques)
Si la mission de votre musée peut ne pas avoir changé sous l’effet COVID, la stratégie qui en découle doit fortement évoluer. Il est donc nécessaire de la redéfinir et passer en revue les basics.
Tout ce qui était n’est plus ! Mais plus que jamais tous les éléments de votre stratégie sont liés.
- Quel public, pour quel contenu en ligne ? Enfants ? Enseignants ? Ne vous dispersez-pas et affinez vos cibles. Si vous passez au podcast, à la vidéo ou au livestreaming formez-vous !
- Quelle conversion ? Consultation du site web ? Obtention d’emails ?Téléchargement de contenus ? Inscription carte membre ? Dons ? Achat de contenus payants ? Achats de produits dérivés ?
- Quelle anticipation du retour physique au musée, des visiteurs locaux comme des touristes ?
4° Optimisez vos basiques et processus de travail !
> Planning de numérisation des collections
- Doit-il être accéléré pour alimenter votre site web et vos RS ?
- Devez-vous prioriser certains objets susceptibles d’être restitués ? Ou vous permettant de répondre à des thématiques sociales en cours (œuvres conçues par des artistes femmes ou des artistes non-blancs) ?
- L’accès à votre collection en ligne bénéfice-t-elle d’interfaces « généreuses » qui développent la sérendipité et la créativité de vos visiteurs ?
- Votre DAM (Digital Access Management) nécessite-t-il une mise à jour pour fluidifier le transfert d’informations entre services ?
> Persona
- Avez-vous pris le temps de rebâtir vos persona ? L’une des leçons du confinement a été de découvrir qu’une grande partie des visiteurs en ligne n’avaient jamais eu d’expérience physique du musée (et peut-être n’en auront jamais !). Comment s’adresser à eux ? Quels sont leurs Besoins ? Leurs freins ?
> Site Web
Désormais pierre angulaire de votre visibilité, votre site web doit être irréprochable. Si vous n’avez pas de budget pour le renouveler, vous vous devez de l’optimiser.
- Êtes-vous en HTTPS ? Avez-vous revu votre SEO (Search Engine Optimisation) ? Les contraintes du moteur de recherche Google pour assurer votre visibilité organique vont devenir encore plus drastiques à partir de mai 2021.
- Votre page Google My Business est-elle complète et revendiquée ?
- Votre affichage sur mobile est-il “responsive” (contrainte Google depuis 2017) ?
- Pratiquez-vous des “cycles d’apprentissage continu” grâce à l’A/B testing pour vos contenus (test de mise en page, de photos, d’accroche ?)
- Avez-vous ouvert un compte Hotjar et connecté votre Google Tag Manager pour comprendre toutes les actions de vos visiteurs en ligne (téléchargement de fichiers, clics sur liens sortants vers votre blog, inscription au newsletter, clics de téléphone, Interaction vidéo YouTube, Facebook, Twitter, Ticketing…) ?
- Garantissez-vous une expérience fluide à vos visiteurs entre les divers domaines de votre site (collections en ligne, plateforme de réservation, boutique) ?
- Votre site affiche-t-il en première page l’appel au don ? Votre CTA (Call to action) est-il visible et permanent (« sticky ») quelle que soit la page consultée ?
Plus que jamais, on doit vous trouver facilement, rapidement et sur tous types d’appareils pour vivre une expérience sans friction.
> Visibilité de vos contenus
Vous ne bénéficiez très certainement pas d’un budget publicitaire ou alors il est très restreint. Optimisez donc vos chances d’être vu grâce à votre statut d’organisation non lucrative :
- Postulez pour votre Bourse Google Ads
- Favorisez les back-links (transmission d’un site web vers un autre) en travaillant vos RP pour que les médias généraux vous citent.
- Soyez créatif, sollicitez vos partenaires pour qu’ils sponsorisent vos post !
> Data
- Votre politique de protection des données (RGPD) est-elle imparable ?
- Vos tableaux de bord de Web Analytics (collecte et analyse de l’activité sur le site de votre musée) correspondent-ils à vos nouveaux objectifs ?
- Sont-ils automatisés pour suivre vos indicateurs clés de performance (KPI), afin de prendre des décisions justifiées qui auront un réel impact sur les résultats ?
Un bon tableau de bord (sur logiciels type Google Sheet, Google Data Studio, Power BI de Microsoft, Tableau ou Excel) doit répondre aux questions importantes sur votre performance, fournir des visualisations interactives, être facilement compréhensible par les personnes qui en ont besoin.
> CRM, Newsletter, Membership et Ticketing
- Avez-vous intégré tous les emails récoltés pendant ces derniers mois dans votre base de contacts pour accroitre la portée de votre Newsletter ?
- Envisagez-vous une plateforme de CRM pour optimiser votre relation client , tout particulièrement pour les campagnes de crowdfunding ?
- Vos visiteurs ont-ils un seul identifiant pour appréhender leur parcours global (avant, pendant, après) ?
- Votre système de billetterie en ligne est-il au point (mobile responsive, prend en charge les différentes catégories de visiteurs -ticketing dernière minute pour une audience locale-, souple dans les annulations ou reports, remboursements automatiques…) ? Valorise-t-il les dons ?
> Réseaux Sociaux
Avec votre site internet, ils restent les seuls liens d’interaction et de motivation de vos publics vers vos initiatives en ligne (contenu numérique -payant-, e-shopping, don et mécénat).
- Avez-vous repensé votre portée (reach) au regard de l’évolution de vos cibles ?
- Avez-vous réfléchi à vos horaires de publications selon vos nouveaux publics ?
- Qui souhaitez-vous toucher ou influencer dans le contexte actuel ? Vous devrez peut-être mettre l’accent sur LinkedIn pour accroitre votre image auprès de sponsors potentiels, ou auprès de journalistes influents qui vont défendre la culture ou promouvoir vos centres d’intêrets.
- Avez-vous automatisé votre synthèse mensuelle des réseaux sociaux ? Avez-vous pré-programmé votre planning éditorial annuel ?
> Contenu
- Avez-vous repensé une stratégie de contenu plus personnalisée et inclusive, en vous orientant davantage vers votre communauté, tout en ne perdant pas de vue les enjeux mondiaux (sociaux et urgence climatique) ?
- Avez-vous pratiqué des A/B testing sur vos formats de podcast ou vidéo (Longueur ? Type de voix ? de musique ? Introduction de quizz ? Pop-up de demande de don ?)
- Avez-vous repensé l’interface de votre page YouTube pour optimiser la découverte de vos contenus par catégorie et hashtag (nouvelle fonction récemment disponible). Il est loin le temps où YouTube n’était qu’un lieu de stockage pour vos vidéos.
- Avez-vous élaboré une liste de contenus pré-écrits susceptibles d’intéresser les journalistes sur les enjeux que vous souhaitez mettre en avant pour votre musée ?
Les community managers doivent aujourd’hui relever un défi de taille pour se démarquer dans le bruit général, alors que l’attention des consommateurs a collectivement diminué. Il est essentiel d’analyser rapidement les différentes publications pour les réorienter au plus vite si nécessaire.
> Retour au musée
- Avez-vous entamé une réflexion sur la reconversion de vos outils numériques tactiles in situ pour qu’ils soient toujours disponibles pour vos visiteurs à leur retour au musée (passage au WebApp en BYOND (Bring your own device) pour vos audio-guides, QR code, interaction à la voix ou aux gestes à distance).
- Avez-vous anticipé le saut technologique des contenus et vidéos à la demande en plusieurs langues, langage des signes inclus?
- Envisagez-vous de proposer une solution de guidage sur mobile en alternative au flyer papier, grâce à un « double numérique » en 3D de votre musée (Matterport solution) ?
- Pensez-vous « phygital » pour une conception universelle de vos nouveaux contenus ? À la fois en accès en ligne (version HTML5) et sur site, en diffusion sur vos supports numériques in situ.
Même si nous sommes en manque de relation aux objets réels, le besoin de contenu complémentaire aux cartels n’aura pas disparu lors de notre retour au musée. En revanche, les mesures sanitaires auront inévitablement entrainé des changements de mode de consommation qui persisteront au-delà de la fin de la pandémie.
> Infrastructure & Formation
En temps de contraction des budgets et des équipes en place, votre avenir dépend de votre efficacité et de votre rapidité. Travailler plus intelligemment, mais PAS plus.
- Considérez-vous un passage au cloud pour faciliter de nouveaux réseaux organisationnels collaboratifs (intra muséaux mais aussi extra muséaux, avec vos fournisseurs, autres institutions ou partenaires des industries créatives) ?
- Votre infrastructure IT peut-elle supporter la montée en puissance de vos contenus numériques (stockage et diffusion vidéo/Gigapixel/3D, consultation massive) ?
- Favorise-t-elle des flux de travail décentralisés, adaptatifs et flexibles, tout en protégeant vos données ?
- Est-il envisagé un temps de formation pour mettre à niveau les équipes en terme de numérique, pour conduire le changement et surmonter leurs inquiétudes ?
- Anticipez-vous l’apport de la 5G dans la surveillance de vos bâtiments (sécurité, température, hygrométrie, futur flux de visiteurs etc.) pour automatiser la conservation de vos collections à distance ?
Conclusion : capitalisez sur les changements 2020
Aussi dure soit la crise, elle a pourtant agi comme un catalyseur de l’innovation et accéléré la maturité numérique des musées. Succédant à un tsunami de contenus, des initiatives agiles ont démontré le potentiel de mesures à petite échelle, temporaires et peu coûteuses, qui considérent enfin le public en ligne comme un public en soi (non un “ajout” aux publics physiques), en leur proposant des contenus mieux ciblés, sur des points d’accès divers (podcast, YouTube, livestreaming, réalité augmentée…), ouvrant des possibilités d’interaction et de dialogue pour un changement systémique.
En réorganisant la planification des tâches et en fluidifiant le partage d’informations, le numérique a permis de rendre le rythme de travail plus acceptable pour des équipes en sous effectif. Les institutions qui ont entamé cette transformation sont désormais plus réactives et résilientes, malgré un contexte encore très volatile et incertain.
La liste des points à optimiser est loin d’être exhaustive mais elle vous permettra de faire face aux demandes quotidiennes, tout en vous libérant du temps libre pour planifier le futur. Car il s’agit désormais de créer des nouveaux modèles commerciaux en ligne (contenus en micro-paiements ?), de saisir de nouvelles opportunités de partenariats entre musées (cf Webinar ICOM sur la Mutualisation des musées) ou partenariats technologiques ( GAFAM cf Microsoft Musées et Bibliothèques ou stratups culturelles), pour mieux répondre aux bouleversements sociétaux et à la crise du changement climatique .