Storytelling, Tunnel de conversion et Musées

Cas du Calendrier de l’Avent du Rijksmuseum, Amsterdam

Elisa GRAVIL , Museovation
9 min readJan 3, 2024
Copies d’écran des vignettes du calendrier de l’Avent sur le compte TikTok du Rijksmuseum

Toute (bonne) stratégie numérique de musée s’appuie désormais sur un storytelling de divers contenus, en coordination avec une stratégie marketing “hybride”(en ligne + in situ), exploitant tous les points de contact du tunnel de conversion. Pour illustrer cette évolution, il est intéressant d’analyser le calendrier de l’Avent, proposé en ligne en décembre 2023 par le Rijksmuseum. La temporalité, les contenus empathiques, interactifs et immersifs, la prise en compte des techniques de conversion en “first party data”*, en font un modèle du genre.

Tunnel de conversion et évolution des stratégies numériques

Le tunnel de conversion est un concept fondamental dans l’élaboration d’une stratégie marketing numérique, quel que soit le secteur concerné. Dans le cas d’un musée, il représente l’ensemble du parcours par lequel un visiteur entre une première fois en interaction avec l’institution, jusqu’à l’étape où il devient un usager/acheteur satisfait et récurrent, voire un donateur/ambassadeur. Ce tunnel se caractérise par quatre étapes :

◦ (1) Visibilité ou Découvrabilité de la marque-musée ,

◦ (2) Considération de la proposition et Rétention de l’attention (storytelling sur les collections permanentes, thématiques des expositions/expériences temporaires, originalité des animations, services annexes, etc.),

◦ (3) Passage à l’acte (achat de ticket, achat de services, achats de produits dérivés),

◦ (4) Fidélisation (adhésion par carte membre, donations et rôle d’ambassadeur).

La partie (1) va dépendre de la notoriété de la marque-musée travaillée de manière concommitante sur les réseaux sociaux, à travers le SEO (Search Engine Optimisation) du site web et de la chaine YouTube, ainsi que de la capacité publicitaire du musée (SEA-Search Engine Advertising). La partie (2) est la plus délicate à optimiser dans le tunnel de conversion. Il s’agit de retenir l’attention du visiteur le plus longtemps et le plus souvent possible (storytelling sur le site web et newsletter), afin qu’il soit convaincu du bien fondé d’un éventuel passage à l’acte. Cette partie (2) n’est pas linéaire dans la prise de décision, comme l’a démontré Google**, le visiteur étant sollicité par de nombreuses autres expériences en ligne avant de faire un choix qui met en balance sa disponibilité physique, géographique, temporelle, ses centres d’intérêt et son pouvoir d’achat.

Tunnel de conversion vu du côté du visiteur et du côté du musée

Dans ce contexte, la connaissance des publics est devenue centrale dans la mise en place d’une stratégie de marketing relationnel, consistant à établir un lien étroit sur le long terme avec les audiences, en comprenant leurs véritables désirs et besoins, afin de leur offrir des produits et services plus personnalisés. Ceci impacte directement la manière dont le musée raconte des histoires en ligne, prenant en considération les souhaits d’empathie, d’interactivité et d’immersion de ses audiences numériques. Parallèlement, la période Covid a mis fin aux initiatives digitales gérées en silos avec la mise en place de stratégie marketing trans-organisationnelle (conservation, service marketing, service des publics, service accessibilité), optimisant les différents points de contact du tunnel de conversion pour chaque storytelling. À cela est venu s’ajouter très récemment la prise en compte de nouvelles normes d’obtention et de gestion des données (blocages de cookies tiers par Google, restriction d’accès aux identifiants publicitaires par Apple***). Ces nouvelles pratiques obligent à recentrer la production de contenus sur les canaux numériques maitrisés par les musées (site web ou newsletters), au détriment des canaux détenus par des tiers (réseaux sociaux ou blogs de partenaires), afin d’acquérir des données en «first party data». Ces données seront nécessaires à un fonctionnement rationnel de l’institution et suffisamment créatrices de valeur pour assurer sa résilience.

Le cas d’école du “Winter Countdown” du Rijksmuseum

Tout le mois de décembre 2023 le Rijksmuseum a su appliquer à une icône de la période de Noël, une stratégie marketing rigoureuse, tenant compte des besoins de ses publics et saisissant toutes les opportunités d’une bonne stratégie marketing pour assurer les revenus du musée sur le long terme. Ce calendrier de l’Avent représente un cas d’école en ce qu’il synthétise en 24 jours l’ensemble des bonnes pratiques applicables le long des différentes étapes du tunnel de conversion.

  • Visibilité et Notoriété: L’objectif est de contribuer à la notoriété du Rijks sur la carte du monde, pour en faire un «must-see museum» à l’accueil chaleureux. Dès l’ouverture du calendrier (largement relayé sur les divers réseaux sociaux du musée pour élargir l’audience), on a une vision globale du bâtiment mis en majeure par l’éclairage de nuit et les fenêtres scintillantes. Les zooms permettent de découvrir un luxe de détails apportés à la reconstition, construisant, en anticipation d’une future visite in situ, un sentiment de “déjà-vu” et d’appropriation. Les jours suivants, l’un des médiateurs star du musée vient contrebalancer la première perception d’un bâtiment classique, par une présentation des divers points de passage contemporains du bâtiment, grâce à la mise en valeur de collaborations avec des designers néerlandais (Fleurs-luminaires du Studio Rift et Sapin holographique de 7 mètres de haut du collectif Droog Design). Il inscrit ainsi le musée dans la société de son temps, ouvert à tous et dynamique, brisant le côté austère et intimidant de la façade (le sapin peut être visible de l’extérieur !).
Extérieur et intérieur du Rijksmuseum Copie d’écran de l’exérience “Winter Countdown”
  • Considération : Le premier jour du calendrier ouvre sur un visuel V.I.P., instaurant un dialogue intimiste, privilégié et inclusif avec le visiteur en ligne. Le Rijks prend soin de s’adresser à son audience locale (version en néerlandais), internationale (version en anglais), mais aussi, à besoins spécifiques (sous-titrage et version audio) dans la droite ligne de son manifeste d’inclusivité. Le visiteur est d’emblée choyé, se voyant proposer, en échange de son e-mail, de participer à un tirage au sort qui permet de gagner une visite privée, avec hébergement dans l’un des plus beaux hôtels historiques d’Amsterdam. Il est ensuite incité à revenir les jours suivants (“Stay Tuned” dit la communication Instagram), offrant au musée l’opportunité de dévoiler pas à pas toutes ses richesses et sa raison d’être, afin de tisser une relation profonde sur un temps long.
Copies d’écran du concours VIP et du compte Instagram du Rijksmuseum

. Rétention: Le storytelling se développe alors dans une mosaïque d’expériences sur les 23 jours suivants, chacun devant y trouver un intérêt pour se projeter en un visiteur potentiel du musée. Le Rijks alterne contes au “coin du feu”, concerts (Casse-Noisette, l’Hiver de Vivaldi, Jingle Bells), quizz sur Disney (en lien avec le parcours proposé dans les collections) ou sur Frans Hals (expo à venir en 2024), mise en scène sonores ou visuelles de scènes de vie néerlandaises présentes dans la collection (Patin à glace, repas festif, moulin à vent). Il est à noter que Noël est traité de manière neutre pour élargir les publics, privilégiant la thématique hivernale à des sujets religieux, alors que la collection regorge de tableaux d’église ou sur la Naissance du Christ. Si le Rijks n’hésite pas à s’approprier les dernières technologies (Intelligence artificielle générative (?) pour la création de balades sonores ou le changement de saison), il souscrit également à une logique de durabilité par un recyclage de contenus intemporels mettant en valeur ses métiers fondamentaux (Restauration de La Ronde de Nuit, Recherche sur Vermeer avec l’exposition virtuelle phare de 2023).

Copies d’écran des diverses animations proposées dans le calendrier de l’avent du Rijksmuseum
  • Conversion: capitalisant sur les thématiques proposées et l’attention espérée du visiteur en ligne, le Rijks parsème les 24 jours d’opportunités de captation d’e-mails dans une optique de conversion “hybride” qui, à courts ou moyens termes, devrait optimiser les revenus propres du musée (achat de cadeaux de Noël sur la e-boutique, achat de tickets pour l’expo Frans Hals 2024). Pour ce faire il propose de gagner systématiquement des cadeaux très peu coûteux pour lui (entrées au musée, catalogue, cadeaux de moins de 85€ valeur faciale, ou financés par les partenaires comme le totebag goodies Disney à 50€). Il transforme ainsi sa communication numérique en un centre de profit. Sa stratégie d’acquisition lui permet même de pré-renseigner les e-mails dans son CRM en fonction des jours où le public participe (billet famille, billet F.Hals) ou selon les objets de la boutique choisis (playmobile = famille ?). Le Rijks pourra segmenter ultérieurement ces nouveaux contacts et personnaliser ses newsletters à bon escient pour le receveur.
Copies d’écran du calendrier de l’Avent du Rijks illsutrant sa stratégie de conversion
  • Fidélisation : le Rijks entretient le fidélisation de ses visiteurs en offrant des cadeaux, mais mieux que cela, le Rijks est un musée reconnaissant et il le fait savoir à ses publics fidèles en les mettant au coeur de la communication du calendrier de l’Avent. Il prend soin d’avoir un panel représentatif dans tous les plans vidéo les représentant : écoliers, touristes, couple de jeunes, familles, personnes âgées, handicapées. Son message ? Le Rijks est fait pour vous et vous attend (sous entendu abonnez-vous), car vous aurez des étoiles plein les yeux comme le lutin-visiteur qui clôture le calendrier le 24 décembre au soir !

À travers cette série d’expériences variées et orchestrées sur un temps long pour capter puis fidéliser le visiteur, le Rijks met en application sa stratégie numérique en l’adaptant idéalement aux récentes contraintes d’acquisition de données visiteurs.

Conclusion

Le storytelling des musées a profondément été modifié par les pratiques de streaming qui s’éloignent de plus en plus du binge-watching****. Les publics s’engagent désormais dans les récits de musée comme ils le feraient avec leur dernière série Netflix ou le dernier jeu vidéo. Ils s’immergent dans un récit séquencé sur un temps long, où les intrigues se développent au fur et à mesure qu’ils avancent dans le récit à leur rythme . L’expérience en ligne est plus que jamais empathique, immersive et dynamique, pouvant s’articuler ultérieurement à une expérience in situ. Aussi riche en émotions que l’expérience in situ, elle fait appel à tous les sens : zooms en haute définition sur les plus petits détails d’un tableau sollicitant la mémoire tactile ou olfactive, créations d’odyssées sonores donnant vie aux oeuvres comme au bâtiment, voix d’un narrateur rappelant son rôle dans l’élaboration du grand récit humain depuis la nuit des temps.

Mais désormais les musées ne se contentent plus d’être de simples conteurs en ligne, aussi attractifs soient-ils. Ils ont appris à optimiser leur stratégie numérique en intégrant des pratiques de conversion à cette phase de rétention des visiteurs en ligne. Au lieu de travailler sur des initiatives numériques éclatées, les musées mettent en place des récits combinés aux meilleures techniques marketing afin d’obtenir un véritable impact, servant de manière concommitante besoins des publics et résilience du musée.

Et vous, avez-vous revu vos pratiques marketing pour l’année 2024 ? Museovation sera ravi de vous accompagner dans votre réflexion.

Pour aller plus loin :

*Les first-party data ou “zéro-party data” sont des données collectées par le musée directement auprès de son public (sur le site web, par le chatbot, à travers des questionnaires, lors d’une commande sur la e-boutique).

**Tunnel de conversion et comportements des acheteurs par “Think with Google”: https://www.thinkwithgoogle.com/intl/fr-fr/insights/parcours-consommateur/decoder-decisions-france/?_gl=1*1iexc7e*_up*MQ..*_ga*MTYwNzU5OTQ0OS4xNzA0MTg5MTY1*_ga_BXYLHC2HPB*MTcwNDE4OTE2NS4xLjAuMTcwNDE4OTE2NS4wLjAuMA.

***Évolution des pratiques du numérique pour 2024 par Fred Cavazza https://fredcavazza.net/2023/12/16/mes-10-predictions-pour-2024/

****Évolution des pratiques de streaming : https://www.purebreak.com/news/la-fin-du-binge-watching-sur-netflix-ce-sondage-tres-inquietant-pourrait-motiver-la-plateforme-a-tout-changer-et-c-est-une-bonne-nouvelle/243178

Museovation , accompagne les institutions culturelles dans leur transformation numérique, grâce à une veille permanente et documentée des meilleures pratiques muséales, ce afin d’accompagner ses clients dans leur développement stratégique, en partenariat avec différents experts, selon les besoins du projet.

🔊 N’hésitez-pas à nous contacter si vous souhaitez repenser votre stratégie numérique: contact@museovation.co.

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Elisa GRAVIL , Museovation

CEO of #Museovation. Love to share my experiences with others about digital transformation in cultural institutions. Let’s get in touch on Twitter: @ElisaGravil