Réflexion 3: Quand la Chine s’éveillera [1], quel musée sera là ?

Elisa GRAVIL , Museovation
5 min readMay 23, 2020

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StopDiscriminAsian (SDA) is a recently-formed coalition of art workers combatting racism and violence against Asians and Asian Americans (graphic by Common Space Projects, New York)

Cet article fait partie d’une série en cours sur les enjeux rencontrés par les institutions culturelles et leurs réactions face à la pandémie, afin de tenter d’en extraire quelques stratégies pour les mois à venir. Le sujet des touristes chinois en comportera trois. Ceci est le troixième et dernier article sur ce sujet.

Choisir de démarrer cette série d’articles par le tourisme chinois et les musées peut sembler hors de propos, tant les mesures de quarantaine limitent drastiquement les déplacements. Au-delà de renouer avec une analyse commanditée sur le sujet juste avant la crise (ironie de la situation !), c’est en réfléchissant sur l’une des cibles touristiques les plus complexes à cerner, que j’ai perçu les chances de m’interroger sur des questions plus larges :

  • Ratio visiteurs locaux vs étrangers au regard de l’équilibre budgétaire de nos musées : 75% des visiteurs du Louvre en 2019 sont étrangers et 8% d’entre eux sont sinophones [2]-Chine, Hong Kong, Taïwan-, 13% pour Versailles, juste derrière les américains en 2019. (cf Réflexion 1)
  • Différences culturelles dans la gestion post-covid, à prendre en compte dans les stratégies à mettre en place pour un retour rapide du tourisme, (Cf Réflexion 2 )
  • Soft power français et compréhension mutuelle entre cultures, en réponse aux oppositions violentes (et souvent non fondées) des dernières semaines entre Chine et Occident. (Cf Réflexion 3 développée ci-dessous)

Comme on peut le constater, ces questions mettent en exergue des sujets qui vont bien au-delà de la problématique du tourisme chinois, interrogeant la transformation globale des musées : maîtrise technologique, capacité d’adaptation, pertinence des missions.

Quelles actions de softpower envisager pour maintenir une compréhension mutuelle entre civilisations ?

En Occident, le “China Bashing” a fait fureur ces derniers mois, mû tout autant par la peur du virus, l’égo des chefs d’état en place, ou des positions diplomatiques souvent excessives de part et d’autres, comme le souligne de nombreux articles du site Asialyst :

  • Tweet du président Trump à propos du “Virus chinois”

Les tensions sont grandes et les propos ne relèvent pas que de rodomontades. Face à cette agressivité générale , les musées doivent être une partie de la solution en jouant un rôle modérateur et apaiser les tensions. Certains musées sont déjà passés à l’action comme l’Asian Art Museum de San Francisco:

“[Asian artists] still created art despite the racism they faced and given all the anti-Asian racism now with the health crisis, we can use this to help Asian American students feel pride as well as educate all students,” Margert Yee [8], manager of school and teacher programs of The Asian Art Museum San Francisco

Affiche promues par le Asian Art Museum sur les comportements envers les asiatiques en période de Pandémie

Dans un article paru le 10 mai sur LinkedIn, Sylvain Amic, Directeur de la réunion des Musées Métropolitains-Rouen Normandie déplore, à juste titre, que l’on demande aux musées de choisir entre “local” et “national”, entre “repli sur soi” et “ouverture”, s’inquiétant du futur “désir de musées” après un tel tsunami ?

Sans se voiler la face sur certaines pratiques dispendieuses et peu compatibles avec des normes respectueuses de l’environnement, est-il nécessaire de rappeler que la mission d’un musée reste celle de l’ouverture, de la compréhension de l’autre, un voyage vers l’inconnu ? Pandémie ou pas, le musée se doit d’être accueillant envers tous ses visiteurs locaux ou étrangers, et favoriser en permanence la diffusion de ses collections vers des publics divers et éloignés, géographiquement comme socialement. À quand une exposition sur les rapports complexes de la France et de la Chine en temps de COVID, au musée Guimet ou Cernuschi, en y incluant la perception des français d’origine asiatique ?

Comme le rappelait la Cour des Comptes en juin dernier, La France a su développer son ingénierie muséale comme aucun autre pays ne l’a fait, grâce au Louvre Abu Dhabi , et pour ce qui concerne la Chine, de nombreuses initiatives récentes avec l’ouverture d’une antenne du Centre Pompidou au West Bund de Shanghai ou la signature en octobre 2019 pour l’ouverture d’un musée Rodin et Picasso. Ces musées sont la voix de la France à l’extérieur de nos frontières, mais ils ne sont pas suffisants pour maintenir notre aura et générer de nouveaux revenus, plus que jamais nécessaires en ces temps de fermeture.

« Cette crise nous montre que la mondialisation est une interdépendance sans solidarité. Le mouvement de globalisation a certes produit l’unification techno-économique de la planète, mais il n’a pas fait progresser la compréhension entre les peuples. Il faudra donc changer ! ». Edgar Morin [5]

Ce troisième article est le dernier sur le tourisme chinois et les musées. La situation actuelle présume d’une Longue Marche, pour faire écho à l’histoire de la Chine. Si celle-ci n’est pas entreprise dès maintenant, la France risque de souffrir d’un désamour qui pourrait lui coûter beaucoup plus cher que le manque à gagner de 2020. Il est donc temps de favoriser l’initiative et non la crainte , en écho au titre du compte rendu de la conférence célébrant le 25 mars 2019, les 55 ans de relations diplomatiques entre la France et la Chine!

[1] Allusion au titre du Livre d’Alain Peyrefitte : Quand La chine s’éveillera, le monde tremblera, Edition Fayard. Le titre de l’ouvrage vient d’une phrase prophétique attribuée à Napoléon Ier : « Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera ». Selon l’historien Jean Tulard, cette citation apocryphe aurait été inventée pour le film “Les 55 Jours de Pékin” sorti en 1963.

[2] Estimation sur la base des chiffres de 2018- Chiffres 2019 définitifs en attente de confirmation par le Louvre dans son rapport annuel qui sort habituellement en juillet de l’année suivante.

[3] Article d’Hyperallergic, 12 Mai 2020, “At This Museum, Education Staff Prove More Vital Than Ever During Pandemichttps://hyperallergic.com/563185/asian-art-museum-education-covid-19/

[5] Edgar Morin : https://mediascitoyens-diois.info/2020/04/edgar-morin-le-confinement-peut-nous-aider-a-commencer-une-detoxification-de-notre-mode-de-vie/

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Elisa GRAVIL , Museovation
Elisa GRAVIL , Museovation

Written by Elisa GRAVIL , Museovation

CEO of #Museovation. Love to share my experiences with others about digital transformation in cultural institutions. Let’s get in touch on Twitter: @ElisaGravil

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