Réouverture des musées: synthèse conférence ICOM France du 14 Mai

L’ICOM France, sous la houlette de sa présidente Juliette Raoul-Duval, a organisé le 14 mai dernier une visioconférence sur le thème : « Réouverture des musées, où en sommes-nous ?”. L’objectif en était d’identifier les problématiques rencontrées et tenter d’y apporter collectivement des solutions. Depuis la réunion, de nombreux documents ont été mis à la disposition des professionnels. Je les ai rajoutés à la fin (pour la partie francophone), avec un récapitulatif des questions le plus souvent posées à ce jour. Je synthétiserai pour la semaine prochaine les différents échos à l’échelon international.

Accès à la visioconférence: : bit.ly/2X3I2kQ

Actualité ICOM France :

• Réunion virtuelle en préparation sur le thème : “Le Musée d’après”
• Réunion annuelle prévue le 25 septembre à Strasbourg

1/Témoignage d’Émilie Girard du MuCEM-Réouverture administrative le 11mai, pour les publics le 2 juin.

Gestion de la situation par une cellule de crise qui a organisé l’accès pratique au musée pendant le confinement et permis l’élaboration d’un Plan de Reprise d’Activité (PRA) — validé le 4 mai par les instances CHSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail*). Ce plan comprend quatre phases organisées selon deux axes prioritaires : la gestion du personnel et l’activité du musée lui-même.

• Phase 1 : reprise du personnel qui est encore à 95 % en télétravail C’est un volet particulièrement important et à ne pas sous-estimer. Il définit les conditions de sécurité des personnels sur site et permet d’échelonner la reprise progressive des équipes selon les modalités administratives et sanitaires. Il permet également de maintenir le lien entre le personnel toujours maintenu en télétravail et ceux qui vont reprendre (seulement 14 sur une équipe de 125 personnes).
• Phase 2 : reprise progressive du travail, contenant une préparation à la réouverture grâce à des tutoriels vidéo et coordination avec les concessions (librairie/restaurant).
• Phase 3 : réouverture en fonctionnement dégradé avec plexiglass sur les caisses, gel hydro alcoolique à disposition, gestion des flux avec jauge et commande marquage au sol pour sens de circulation.

Lancement d’un plan de communication externe avec un affichage sur carte communication ainsi qu’un questionnement sur une ouverture gratuite pour le premier week-end ou la première semaine, en geste de bienvenue.

• Phase 4 : retour à la normale prévue fin 2021 (?)

Point fort à retenir:

Un Plan de communication sur l’intranet à l’attention du personnel pour dédramatiser la situation : Création de tutoriels en vidéo sur le déplacement dans le musée, ainsi que sur la clarification des conditions de sécurité : comment faire la queue ? Emplacement des gels ; accès ascenseur ; nombre de personnes par mètre carré dans les bureaux, galeries, réserves ; accueil des prestataires ; gestion des réunions interdites pour l’instant etc.

2/ Témoignage de Catherine Grenier, Fondation Giacometti, Paris — Ouverture administrative le 11 mai et ouverture au public le 15 mai.

« Ne pas être Hibernatus, se remettre à la disposition des publics, repartir au plus vite ! »

Pour la Fondation Giacometti, il était impératif de redémarrer en même temps que le reste de la société pour répondre au rôle social d’un lieu culturel. La réouverture a donc été préparée dès le début du confinement. Par ailleurs, la dénomination « petit musée » se prêtant à la description de la Fondation, toutes les autorisations administratives ont été enclenchées dès que cela a été possible, avec une volonté des autorités d’accélérer les processus.

Parcours administratif :

• Accord préfecture avec visite d’une personne sur place.
• Accord de la DRAC pour la catégorie « Petit Musée »
• Accord de la Mairie

Enfin, il s’agit d’une structure qui a déjà des outils pour mettre en place rapidement les conditions d’accueil actuelles :

• Ouverture quatre jours sur sept : jeudi/vendredi/ samedi /dimanche
• Un accueil limité à 10 personnes toutes les 20 minutes
• Médiateur qui assure l’absence de regroupement/ la dispersion
• Une gratuité élargie pour recevoir des jeunes dans le cadre de la mission de démocratisation de la culture.
• Poursuite d’une programmation riche en ligne car a permis de gagner un public nouveau durant le confinement.
• Une rotation maintenue des expositions avec le prolongement de prêts d’œuvres dans un esprit solidaire entre musées.

Souhait d’un retour à la normale rapide car la situation n’est économiquement pas viable même si pour l’instant la priorité est à la réouverture.

Point fort à retenir:

Une billetterie de réservation 100% en ligne, intégrant les billets gratuits permettant de gérer les jauges. Une analyse immédiate des publics présents, grâce au back-office, permettant de constater le succès des billets gratuits auprès des jeunes générations.

3/Témoignage de Marie Lavandier, directrice du Musée du Louvre-Lens — Ré-ouverture le 3 Juin pour la Galerie du temps et le 10 juin pour l’exposition temporaire “Soleil Noir”.

Pour mémoire, le musée du Louvre-Lens est issu d’un projet de territoire en lien très proche avec une population qui a fortement souffert de la fermeture des mines dans les années 1980. De ce fait, le musée, qui reçoit 500 000 visiteurs par an, connait un fort engagement social auprès d’une population locale, fortement fragilisée (encore plus avec la crise actuelle). 70% de ses visiteurs sont issus de la région (20% de l’agglomération même). On peut donc dire qu’il est très ancré dans le territoire et à ce titre, peut s’inscrire dans la catégorie « petit musée », même si Mme Lavandier souligne sa perplexité face à ce nouveau concept ! Si le musée a été épaulé dans sa volonté d’ouverture par une DRAC très active, il n’en reste pas moins confronté aux problèmes suivants :

1/ Partenariat avec le rectorat pour organiser l’accueil des demi-groupes de scolaires en complément de l’école, même si pour l’instant les maires n’ont pas choisi de rouvrir les écoles parce qu’en zone rouge (zone verte maintenant).

2/ Annulation de la programmation « Les Louvres de Pablo Picasso » (maintien de l’exposition Soleil Noir), car impossible à monter quand les ressources propres ne sont pas au rendez-vous : sur un budget « actions » de 3 millions d’euros, 2,5 millions sont représentés par les recettes propres, le mécénat ou la privatisation du lieu.

3/ Animation « Parc en Fête », habituellement destinée aux locaux qui ne partent pas en vacances. Prend un résonance supplémentaire cette année mais avec une pratique physique en lien avec le musée qui va en être modifiée pour répondre aux gestes de protection. Accent mis sur des installations d’artistes pour leur apporter également le soutien du musée.

4/ Non mise à disposition des audio-guides

Compte Twitter @marie_lavandier

Mais au-delà du côté pratique de la réouverture, pour Mme Lavandier, ces dernières semaines sont source de réflexion :

• Comment créer du lien dans la continuité de ce qui s’est passé ces dernières semaines ?
• Comment prendre soin sans céder au « dogme sanitaire » ? Soin à apporter aux gens, aux équipes mais aussi aux bâtiments et collections. Privilégier des dispositifs pédagogiques, voire ludiques pour rendre les gestes moins contraignants. Rendre leur acceptation naturelle. Privilégier la gratuité (dans un premier temps), pour ne pas imposer l’usage de la carte bleue à ceux qui en sont privés ou qui ne savent pas réserver en ligne par illettrisme numérique ou manque d’accès.
• Comment être dans le partage et la solidarité tout autant avec le public qu’entre professionnels (comme la prolongation des expositions le prouve actuellement)?

Point fort à retenir:

• Conserver le sens de l’action en privilégiant la politique des petits pas, par des pratiques agiles, des « bouts de ficelle », du « test and learn », favorisant souplesse, capacité d’adaptation et résilience.
• Visière transparente pour les médiateurs, imprimées « maison » sur l’imprimante 3D du lab et utilisant des couvertures transparentes de dossier ! Lien tuto : https://feelu.fr/2020/03/29/realiser-une-visiere-de-protection-covid-19-avec-une-imprimante-3d/

4/Cyrille Sciama, directeur général du Musée des impressionnistes à Giverny — Réouverture de la Maison de Claude Monnet et des jardins le 15/20 juin (roder l’accueil du public) puis réouverture du musée (220 œuvres) le 1er Juillet, pour éviter engorgement sur les jardins dont la jauge sera limitée.

“ Il y aura un vrai appétit de culture pour des musées nichés dans un coin de nature comme le nôtre mais aussi comme Chantilly ou Fontainebleau.”

Le musée accueille actuellement environ 200 000 visiteurs par an (ouvert seulement de mars à novembre), la maison et les jardins 700 000 visiteurs par an, avec une double audience locale et internationale.

Nécessité de se réinventer :

• Arrêt net de l’exposition “Plein air, de Corot à Monnet” (seulement 30 acheminées sur les 120 prévues) — Pertes importantes ; déception des équipes.
• Faire vivre le travail scientifique malgré l’absence de l’exposition : Instagram et visite virtuelle des lieux sur Google Art and Cultures ( partenariat depuis 6 ans), audio-guides gratuits sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=IAH_qZocFA8
• Refonte du site internet mis en place fin mai , mise en ligne de la bibliothèque et des collections pour devenir un centre de recherche mondial sur l’Impressionnisme
• Attente de l’accord préfectoral malgré une forte attente du public (et des journalistes dans le cadre des 100 km autour de Paris !)
• Mise en place d’un tarif très réduit pour tous les publics, comme geste symbolique de réouverture, même si coûte plus cher d’ouvrir que de rester fermé.
• Reprise des 60 personnes qui travaillent sur les deux sites.
• Espère retrouver un régime normal en septembre avec une nouvelle exposition “Les Ateliers de la Nature” avec des œuvres qui viennent de l’étranger (Chicago-report de prêt ou prolongation très facile), d’Orsay et de la BnF.

Point fort à retenir:

• Ticket sur réservation mais maintien d’une jauge sur place pour visiteur impromptu- Ne pas frustrer.
• Usage très diversifié de tous les moyens numériques :

- Instagram (à passer la barre des 12 000 abonnés) et Twitter

Copie écran du Compte Instagram du Musée des Impressionnistes

-Visite virtuelle sur Google arts & Culture (partenariat depuis 6 ans), de l’exposition qui n’aura pas lieu IRL.

Copie d’écran du site internet du musée

-Audio-guide sur Youtube

-Refonte du site internet : mis en place fin mai et mise en ligne de la bibliothèque et des collections pour devenir un centre de recherche mondial sur l’Impressionnisme et le Post-Impressionnisme.

5/ Témoignage de Cédric Lesec, Directeur des relations extérieures et de la diffusion, Musée des Confluences, Lyon- réouverture le 2 juin.

“Nous avons procédé au parcours du visiteur pour élaborer notre PRA.”

• Réouverture de l’ensemble des expositions temporaires et permanentes à l’exception d’une exposition possédant de nombreux dispositifs tactiles (Mini-Monstres).
• Élaboration d’un document pendant trois semaines.

Point fort à retenir:

Pratique du « test & learn” : ne pas penser qu’administratif, mais « vécu du visiteur ».

6/ Témoignage de Jérôme Farigoule du Service des Musées de France

• Fiche d’auto-évaluation pour ré-envisager une réouverture et aide à la réouverture
• Volonté d’accompagner la notion de « petit musée » i.e. répondre à l’échelle locale.
• Relais par les DRAC des documents et désormais de l’ouverture des musées pour anticiper une synthèse et analyse de cette crise afin d’en retenir les meilleures pratiques.

Une réunion des Conseillers des musées est prévue en juin.

7/ Témoignage Céline Chanas, Musée de Bretagne et présidente de la fédération des éco-musées.

“Gros renforcement du hors les murs à Rennes cet été”. cf Podcast France Culture.

Réunion de #Museocovid : le 25 juin à 14H. Info sur le site.

8/ Témoignage Frédéric Crétin, responsable culturel de la Saline Royale d’Arc-et-Senans

• Il reste à gérer les relations des sites avec les spectacles d’arts vivants qui ont été soit reportés, soit annulés ? Comment ne pas leur porter le coup de grâce sans se mettre soi-même en danger.
• Optimiser les échanges sur les meilleures pratiques en termes de visites guidées : 99% des visites sur la Saline sont accompagnées ! Doit-on privilégier les visières pour tout le monde (médiateur + visiteur) ? Quel approvisionnement optimum ?
• Exposition interactive prévue dans les mois à venir : quelles recommandations ? annulation complète ? Alternatives technologiques par la voix ou les gestes à distance ?

9/ Témoignage d’Isabelle Godefroy, Directrice de la pédagogie et des programmes au Château des Langues

Comment gérer la gratuité alors que les équilibres budgétaires sont périlleux ? Quelle durée (1 week-end, 1 semaine, 1 trimestre ?) Quelle catégorie de publics ? Quel engagement auprès des amis de musées ?

Réponse 1 Emilie Girard (MuCEM)

L’envisager comme un geste de bienvenu mais évidemment pas tenable sur le long terme.

Réponse 2 : Catherine Vieu-Charier, Maison Elsa Triolet-Aragon à Saint-Arnoult-en Yvelines. (20 000 visiteurs/an)

“Ça nous coûte plus cher d’ouvrir que de rester fermé. Combien de temps allons-nous pouvoir tenir ?”

Autofinancement à 60%. Réelle crainte d’ouvrir trop tôt qui condamnerait l’équilibre financier déjà précaire. Dans ce contexte, la gratuité est impossible car pose trop de problème pour la pérennité du lieu.

Réponse 3 : Catherine Grenier, Fondation Giacometti

La gratuité est une question cruciale dans le cadre d’une refonte des musées. On a entendu beaucoup de phrases « Il ne faut plus que ce soit comme avant », mais le sujet de la démocratisation de la culture et de la composition des publics reste à l’ordre du jour. Or ce sont les habitués des musées qui vont se réinscrire en premier. Ont-ils vraiment besoin de la gratuité ?

• Il faut favoriser une gratuité très large pour des publics qui viennent peu au musée, pour continuer à penser la culture comme un service public.
• Il faut dépasser la question “On n’a pas les moyens”.
• Il faut mettre en place des mesures de l’efficacité de la gratuité et faire remonter l’information pour avoir une vue générale sur le sujet.

10/ Témoignage de Laurence Chesneau-Dupin, ex- Cité du Vin Bordeaux

Il faut avoir une vision optimiste pour nos musées (par rapport aux spectacles vivants par exemple) :

• Les musées permettent une gestion plus facile des jauges,
• Les règles de distanciation sont plus facilement applicables,
• Opportunité de la situation : Apprendre à reconnecter les grands musées avec le tourisme local.

11/ Témoignage Xavier de La Selle, Directeur du Musée de Gadane, Lyon

La situation mettant de côté les dispositifs tactiles, il va falloir engager des réflexions sur la scénographie de nos musées et tout particulièrement dans le cadre des musées de sociétés qui, ces dernières années, sont passés d’un modèle de musée contemplatif à un modèle de musée interactif. Faut-il réfléchir à de nouveaux dispositifs autour de la voix ?

Quid du remplacement des dispositifs d’audio-guide par de la médiation humaine ?

12/ Témoignage de Michel Rouger, directeur général du Muséo-Parc Alésia en Bourgogne

La programmation en collaboration avec le spectacle vivant a été bouleversée pour répondre aux contraintes sanitaires (annulation d’un week-end avec spectacle de reconstitution antique) ainsi que des ateliers de manipulation d’artisanats antiques -poterie, mosaïque, vannerie, etc.

D’un point de vue relationnel :

• Si on peut reporter le spectacle, on fait le choix de verser une avance qui permet au partenaire d’assurer sa trésorerie,
• Si on ne peut pas, on se met sous « l’annulation pour cas de force majeure » et on ne verse rien.

D’un point de vue activité sur site, les artisants seront uniquement dans la démonstration des gestes.

Questions restant à étayer

• Balance Gratuité pour les visiteurs vs Équilibre budgétaire musée ?
• Reprise des expositions prévues vsThématiques en lien avec l’actualité ?
• Accompagnement psychologique des personnels de musées (anticiper les peurs de mise en présence avec le public, fatigue post-confinement avec gestion de remplacements (évoqué par Mesdames M. Grasse du Musée national du Sport et C.Bara Musée départementaux de la Haute-Saône)
• Rôle de la communication en ligne, avec retour au réel ?
• Gestion des visites guidées : quelle politique envisager ?
• Les outils de médiation ou activités nécessitant du tactile : retrait ou adaptation ?
• Les collaborations spectacles vivants : comment ne pas les condamner sans mettre en péril son propre équilibre budgétaire ?

EN COMPLÉMENT : document en #OpenAccess compilé par Elisa GRAVIL pour museovation.co : bit.ly/2XKxwhN

De la même manière une synthèse sera mise à disposition par Museovation sur la situation de réouverture à l’étranger, les meilleures pratiques et les questions en suspens.