Hologramme et institutions culturelles

De la médiation à l’expérience immersive

Elisa GRAVIL , Museovation
10 min readAug 28, 2023
Copie d’écran de la vidéo de Light Field Lab , Camaléon holographique visible sans lunettes

La conception des hologrammes remonte à 1948. On doit ce procédé photographique en relief à un Hongrois, Dennis Gabor. Depuis les premières tentatives, la technologie a beaucoup évolué en lien avec les lasers et la baisse des coûts de captation 3D. L’appellation commune d’hologramme regroupe en réalité plusieurs technologies (sauf pour les puristes), intégrant les vrais hologrammes jusqu’aux effets en réalité mixte ou autres illusions d’optique (par exemple par projection d’images sur un fond de verre comme le Concert de Hatsune Miku au Châtelet en 2013). Le grand public n’en retenant que le résultat un peu fantomatique obtenu dans tous les cas, c’est dans cette perspective que s’inscrit cet article, afin de présenter diverses médiation et expériences immersives en cours dans les musées ou salles de spectacles innovantes.

Seront détaillés ci-après les cas suivants :

· Le Holo-Museum pour une médiation dans les classes

· Les hologrammes de Science Expériences à Bercy Village

· Les Hologrammes Dinosaures à l’Australian Museum de Sydney

· Les expériences en réalité mixte Hololens de la Smithsonian

· Kagami, le concert de Ryuchi Sakamoto au Shed de New-York

· Les « Abbatars » du Abba Voyageshow à l’Arena de Londres

“Holo-Museum”, une application holographique pour une médiation immersive en classe

Développée par une startup thaïlandaise (Holo-sdk) pendant la période du COVID, l’application propose d’utiliser le principe de l’hologramme en classe, afin que les élèves puissent visualiser en 3D les objets ou animaux qu’ils étudient. Pour cela il est juste nécessaire de télécharger l’application et de s’équiper de lunettes holographiques bicolores, en papier et d’un coût minime. Quelques musées londoniens se sont prêtés à l’exercice avec leurs collections : l’Imperial War Museum et le Science Museum de Londres. L’idée à l’origine était également de permettre aux élèves de créer leur propre « holo-museum » au sein du métavers « Morpheus » qui peut servir de classe virtuelle si nécessaire. La possibilité de pouvoir visualiser le volume de l’objet comme s’il sortait de l’écran de l’ordinateur impressionne les élèves qui apprennent vite à manipuler l’image pour leur propre apprentissage en autonomie.

image d’une locomotive en relief visible sur un ordinateur grâce à des luenette holographique
Copies d’écran de l’application Holo-SDK et métavers Morpheus

“Science Expériences” pour découvrir la téléportation holographique

Universcience et le Palais de la Découverte proposent cet été une expérience immersive interactive de 850m2 à Bercy Village (Paris), « pour apprendre la science en la vivant de l’intérieur ». Deux cas d’usage d’hologrammes, développés par la société Hyperhol, peuvent y être expérimentés :

· L’hologramme de « téléportation », le plus interactif, puisqu’il vous permet, en vous introduisant dans un cylindre qui scanne votre corps, de voir votre double holographique projeté dans un cylindre opposé, permettant ainsi de se projeter et d’expliquer des usages professionnels de conférences à distance.

· L’avatar-hologramme « parlant » d’Einstein qui commente la physique quantique. Une version uniquement avec la tête de personnages historiques avait développée précédemment aux États-Unis par deux sociétés (Headworks et Aamsco Lightning ). Plus réaliste, car la tête suivait le mouvement du spectateur, elle nécessitait néanmoins d’enfermer le mannequin holographique dans une boite.

Personnages historiques (Einstein, Abraham Lincoln) sous forme holographique dans divers contextes d’exposition
Photos extraites du compte Instagram de “Science Expérience” et photos Museovation

Des hologrammes Dinosaures pour une expérience immersive

L’Australian Museum de Sydney propose à partir de cette rentrée une expérience holographique autour des Dinosaures. Si le principe n’est pas nouveau, le rendu et la possibilité d’évoluer autour des hologrammes favorisent une expérience plus immersive et multi-dimensionnelle que les initiatives précédentes. Chaque visiteur interagit avec les dinosaures holographiques traqués grâce à des lunettes en 3D disposant d’un moteur créant une image unique pour chaque œil, et évitant les effets de distorsion lors des déplacements. C’est la société Axiom Holographics qui a la charge du développement, après avoir mis au point le concept sur une plus grande échelle à l’Hologram Zoo de Brisban (1 000 m2) où l’on peut découvrir 25 animaux holographiques dans leur habitat. La société propose également des solutions adaptées à des tables permettant de développer des jeux. L’effet 3D de la vidéo de promotion du musée de Sydney à découvrir sur leur site, ne manquera pas d’attirer les visiteurs !

visiteurs de musées avec lunettes holographiques regardant des tortues ou des dinosaures holographiques
Copies d’écran du site de Hologram Zoo et Australian Museum

Néanmoins l’une des contraintes pour le visiteur dans les expériences précédentes est d’avoir à porter des lunettes pour visualiser les hologrammes (et donc pour le musée une gestion complexe). En 2021, une société américaine Light Filed Lab a mis au point une version appelée « Solid Light », qui permet désormais de s’en passer. L’objet ou l’animal peut être vu sous des angles différents sans effets de distorsion. Le résultat est tellement satisfaisant que les musées s’en sont emparés pour créer de nouvelles mises en scène à venir, tout en couplant les projections avec un son spatialisé pour renforcer l’effet immersif.

“Critical Distance” ou comment entrer en relation avec des orques

Durant l’été 2022, le Natural History Museum de Washington DC présentait l’expérience en réalité mixte, Critical Distance, développée en partenariat avec Microsoft et Hololens. L‘idée consiste à immerger les visiteurs au milieu d’un groupe d’orques afin de comprendre leur déplacement, perturbé par les nombreux obstacles de pollution sonore entravant leur recherche de nourriture, ce qui en fait aujourd’hui une espèce en voie de disparition. Équipés de lunettes Hololens, les visiteurs peuvent visualiser les ondes et sentir la perte d’audition de l’animal lors du passage de bateaux. L’objectif final est de changer les comportements en sensibilisant les visiteurs à la nécessité d’équiper leurs bateaux de traqueurs de signaux émis par des balises qui équipent les orques, afin de s’en tenir à bonne distance.

Une autre expérience du même genre avait été développée par le Natural History Museum de Washington DC en janvier 2020 autour du Narval. L’objectif était de comprendre l’importance de la corne du Narval dans sa navigation sous la glace arctique, élément naturel qui prenait une dimension plus concrète pour le visiteur, par le truchement des projections holographiques. Chaque personne, équipé de lunettes Hololens, endossait le rôle d’un animal pour un déplacement en groupe, le seul organe sensitif pour se repérer étant la corne en réalité mixte.

La réalité mixte peut se montrer très efficace pour servir un propos nécessitant d’immerger le visiteur dans un environnement spécifique. Elle n’en reste pas moins un médium chronophage et couteux au moment du développement, appelant un soutien financier externe (souvent Microsoft même s’il existe désormais d’autres lunettes en réalité mixte). Son exploitation est également peu aisée, nécessitant la présence de médiateurs pour la gestion des lunettes. Sur ce dernier point, le Museum d’Histoire Naturelle de Paris semble avoir trouvé un modèle économique en partageant une partie des bénéfices de la vente des billets avec la startup Saola qui a développé le projet Revivre, avec lunettes Hololens, pour une exploitation sur le long terme. La fréquentation s’élève à plus de 100 000 personnes depuis juin 2021 (à comparer avec les 830 000 personnes qui ont visité la Grande Galerie en 2022).

Narval et animaux disparus en hologramme observés dans des musées par des visiteurs portant des lunettes holographiques
Copies d’écran des différents sites de musées ou partenaires de deux expériences en Réalité mixte avec lunettes Hololens

Kagami, où l’art de renaitre en hologramme

Kagami est un concert de piano un peu spécial, puisqu’il est interprété par l’hologramme du célèbre artiste Ryuichi Sakamoto mort en mars 2023. Le choix du mot « Kagami » n’est pas innocent, puisqu’il désigne un miroir ancien en japonais, en écho au reflet numérique de l’artiste. Par ailleurs Sakamoto a laissé une courte explication présente dans le livret du concert.

Poème de Sakamoto Ryuichi pour expliquer Kagami

À la pointe de la technologie dans toutes ses créations, et se sachant par ailleurs condamné, l’artiste s’était fait scanner en « motion capture ». Il a ensuite conçu l’expérience en partenariat avec la société anglaise Tin Drum, des ex de Magic Leap, société spécialisée dans la réalité mixte avec lunettes. Ce concert-testament a été présenté au Shed, la salle de spectacles avant-gardiste de New-York, qui propose des expériences « aux audiences non-traditionnelles du XXIème siècle », selon son manifeste.

80 personnes sont équipées de lunettes et d’une batterie individuelle autonome. Elles s’installent en cercle autour d’un plan marqué au sol qui délimite l’apparition du pianiste aux commandes de son Steinway. Après cinq minutes d’écoute silencieuse, les spectateurs se lèvent et commencent à déambuler autour de Sakamoto, observant ses mains, s’asseyant à ses pieds, admirant les projections qui sortent du piano en lien avec chaque morceau. Aucun spectateur ne gêne la vue de l’autre dans son déplacement. La communion du groupe est réelle. On ne sait si cela est dû au comportement habituel en concert classique, au respect dû à un mort, ou tout simplement la qualité des interprétations (10 pièces dont la B.O. du film Furyo où Sakamoto a joué aux côtés de Bowie). L’écoute peut être qualifiée de religieuse (un aperçu ici) et confère à ce temps suspendu un moment de grâce, malgré les quelques (très) rares imperfections techniques, dont l’équipe s’excuse en début du concert.

Copies d’écran site du Shed, couverture de 1983 du livre de van der Post avec Bowie et Sakamoto dans Furyo, photos de Museovation

Le souvenir des disparus au travers trois expériences holographiques muséales

L’aspect évanescent des hologrammes semble convenir à l’intercession entre les vivants et les morts, car on retrouve un même usage holographique et un même respect des spectateurs dans le « Forever project ». Désormais présentée en continue depuis plus de quatre ans à l’Illlinois Holocaust Museum and education center, cette expérience permet de dialoguer avec des survivants de la Shoa, qui tenaient à ce que leur témoignage persiste après leur mort.

Cette expérience a la particularité de s’appuyer sur le Machine Learning en enregistrant des milliers d’heures de conversation de différents survivants, qui permettent ainsi aux hologrammes de répondre aux différentes questions posées par les visiteurs. Si l’IA ne sait pas répondre à une question, le système peut se connecter sur le net pour enrichir son corpus de données, ce qui bien évidemment est sujet à controverse de la part de nombreux musées de la Shoa (entre autres francophones) qui ne souhaitent pas devenir une source supplémentaire de “fake news” et prêter le flanc à la critique des révisionnistes. Une des solutions technologiques “de potentielle” véracité des propos aurait pu se trouver dans l’enregistrement dans la blockchain des interviews des survivants, mais le projet n’a pas été conçu ainsi.

La dernière création d’hologrammes en témoins du passé est due au tout nouveau Legacy Museum à Montgomery en Alabama adossé à l’Equal Initiative for Justice , mettant en scène cette fois-ci des acteurs qui incarnent des personnes réduites en esclavage. Leurs propos sont tirés d’écrits sauvegardés ou de rares témoignages oraux. Les hologrammes chantent, interrogent les visiteurs sur leurs enfants disparus ou décrivent les horreurs de la captivité. Ils ne répondent pas aux questions.

Autre expérience holographique au Greenwood Rising History Center qui raconte, dans The Green Wood Spirit”, l’histoire du massacre de Tulsa en 1921, en proposant une reconstitution d’un salon de barbier. Il s’agit ici de mettre le visiteur en situation. celui-ci s’assoit dans un fauteuil et se fait tailler une coupe de cheveux qui n’est qu’un prétexte pour engager la conversation sur les évènements historiques et le racisme à Tusla. Au milieu de la “coupe de cheveux”, de la fumée apparaît dans la pièce pour donner au visiteur l’impression de l’émeute à l’extérieur du salon où l’exposition sur le massacre se poursuit.

personnages holographiques noirs dans différentes situations (prison, salon de barbier)
Copie d’écran des deux sites de musée

Quatre « abbatars » pour un revival de start sur scène

Pour finir sur une note plus gaie, voici la version actuellement la plus aboutie d’images holographiques. Les “abbatars” (Abba + avatars) ont été conçus par la société Georges Lucas’ Industrial Light and Magic (ILM) qui maitrise cette technologie depuis la princesse Leïa de Star Wars. Ils sont la résultante de « motion captures », combinés à plus de 1000 effets virtuels projetés sur scène à partir du plafond de la salle de l’Arena. 22 chansons composent ce « véritable » concert comparable à ceux du groupe à la fin des années 70’s. Les effets sont saisissants au point qu’on se laisse facilement embarquer par l’ambiance, les fans applaudissant à tout rompre à chaque chanson culte. Il est à parier que ce type d’effet se retrouvera dans le très attendu Lucas Museum of Narrative Art qui devrait ouvrir ses portes en 2025 à Los Angeles.

Conclusion

· L’image holographique, loin d’être dépassée, ne cesse d’évoluer au fur et à mesure que les technologies se sophistiquent, permettant soit d’optimiser les images obtenues (plus de grain, de couleurs, de finesse dans les contours), soit de se libérer des lunettes 3D.

· Si l’holographie procure autant d’émotions que les technologies concurrentes, elle n’en est pas pour autant moins chère (cf rapport Nemo — page 53), car elle sollicite des procédés encore complexes pour la captation.

· Néanmoins la variété des usages décrits ci-dessus permet de l’utiliser tout au long du parcours-visiteur, en ligne chez soi ou en classe, in situ dans les expositions, et enfin dans des salles dédiées hors-les-murs pour des expériences collectives hautement impliquantes.

· Elle permet de servir des propos variés, endossant tantôt le rôle d’acteur tantôt de médiateur, pour des expériences scientifiques ou purement artistiques.

Museovation réalise une veille exhaustive, documentée et “vécue” des expériences muséales usant de nouveaux procédés technologiques tels que la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou les procédés holographiques comme dans cet article, ce afin d’accompagner ses clients dans leur développement stratégique et AMO de leur projet, en partenariat avec différents experts selon les besoins.

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Elisa GRAVIL , Museovation

CEO of #Museovation. Love to share my experiences with others about digital transformation in cultural institutions. Let’s get in touch on Twitter: @ElisaGravil