Feux, ODD et éducation du citoyen : Expositions en résonance de Toulouse à New-York
Les quatre éléments ont toujours été une source inépuisable de réflexion mais ces derniers temps, la nécessité d’agir en faveur du climat oriente les muséographies vers de nouvelles dimensions. Ainsi en est-il de deux expositions sur la thématique du feu, l’une au Quai des Savoirs à Toulouse « Feux, Mégafeux » et l’autre « Fire » au Fotografiska de New-York. Bien que traitant d’un même sujet dans des contextes différents (scientifique pour l’un, esthétique pour l’autre), elles ont en commun de nombreux points sociologiques qui en disent long sur l’investissement des institutions culturelles dans la mise en action des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU, à travers une volonté d’accompagner la réflexion des citoyens.
« Feux, Mégafeux », une exposition immersive au service du climat
Initialement développée en 2019 par Universciences, l’exposition itinérante ne pouvait être présentée au Quai des Savoirs telle qu’elle avait été conçue initialement. En effet, les mégafeux qui ont dévasté jusqu’alors des régions éloignées (Canada, Californie, Amazonie, Sibérie, Australie), n’épargnent désormais plus aucune de nos zones géographiques, comme on a pu le constater l’an dernier en Gironde, ou cette année en Grèce. Il était donc nécessaire d’en présenter les raisons et les enjeux en complément des contenus déjà existants. L’exposition débute en décrivant la place clé du feu qui accompagne l’évolution de l’humanité par ses pouvoirs transformateurs, du durcissement d’une pointe en bois préhistorique pour la chasse, aux grandes aciéries qui ont conduit à toujours plus d’utilisation d’énergies fossiles. Mais elle est surtout augmentée de deux animations qui témoignent, à la fois de la prise en compte des nouvelles pratiques interactives des publics, et de la volonté des institutions de s’investir dans la formation du citoyen en termes de changement climatique.
Un premier dispositif numérique, couplé à un décor de cuisine calcinée, permet de placer le visiteur au centre du sujet en faisant appel à sa sagacité d’enquêteur pour trouver l’origine du feu à travers 7 énigmes à résoudre. Il est même possible d’endosser de vraies tenues de pompiers ou de tester les effets de la fumée sur ses poumons dans une salle dédiée ! L’objectif est de sensibiliser les visiteurs aux mauvaises pratiques qui sont à l’origine des incendies domestiques, cause de 460 décès et 10 000 victimes de flammes par an (chiffres de INPES en 2021).
Une deuxième animation présentée dans un tunnel immersif, recyclé d’une précédente exposition comme il se doit désormais, a pour ambition de concrétiser les facteurs à l’origine des mégafeux grâce à la data-visualisation de données massives, souvent peu digestes pour un non-expert, et pourtant déterminantes dans la compréhension de tels phénomènes. Projetées sous forme de nuage de points, cartes, graphes ou ligne chronologique, ces data-visualisations aux effets artistiques permettent de mieux saisir l’impact sur le changement climatique de ces feux hors de contrôle. Elles détaillent les différents impacts sur notre vie de tous les jours en lien avec les 17 objectifs de développement durable déclinés dans la charte de l’ONU au niveau mondial : réduction des énergies fossiles (11), aides aux populations vulnérables (4,5,8,10), nécessité de passage aux énergies propres et renouvelables (7,12,13), nécessité d’éduquer pour changer nos comportements (4,12,16).
Un dispositif “low tech” sous forme de fils à souhaits, clôt l’exposition, laissant le visiteur face à ses propres responsabilités, mais aussi ses engagements, qu’il pourra méditer à l’extérieur dans le parc attenant au Quai des Savoirs ou en revenant pour suivre des conférences.
« Fire » ou le pouvoir de la photographie sur les impacts du changement climatique
L’exposition présente la sélection de 13 photographes pour le prix Pictet et reprend les mêmes enjeux et catastrophes soulevés par l’exposition du Quai des Savoirs. On y retrouve le feu destructeur de notre patrimoine (photos de Notre-Dame par Patrick Zachmann), ou de nos écosystèmes (Wildfire de David Uzochukwu, LA Fires par Mark Rudewel ou The Prophecy de Fabrice Monterio sur les ravages du plastiques et résidus de pétrole brûlés à ciel ouvert). Mais son originalité réside dans la prise en compte d’expériences personnelles et de drames humains, lui conférant un impact émotionnel très puissant.
La pauvreté et l’exclusion sont abordées au travers de ces femmes indiennes, premières victimes de brûlures par foyers domestiques (photo de Brent Stirton) ou vengeances inter-ethniques (photo de Carla Rippey), qui bénéficient très rarement de chirurgie réparatrice au cas où elles survivent. De même, les récents incendies des marais de Virginie rappellent de triste mémoire les feux des siècles précédents pour déloger les maroons qui s’y cachaient afin d’échapper à l’esclavage (Black water, Great Dismal Swamp, de Sally Mann).
« Le feu ne détruit pas la mémoire » souligne Sally Mann ou Mak Remissa (photos composées sur l’exode des habitants de Phnom Penh par les Khmers Rouges en 1975), mais il peut être synonyme de renouveau, tout particulièrement dans la création artistique. Ainsi en est-il de l’œuvre de Daisuke Yokota Matter/Burn Out renaissant de ses propres cendres, ou Wonder Beirut des photographes pyromanes J. Hadjithomas et K.Joreige, traitant des destructions de la ville par les conflits civils et le récent incendie du port, avec en creux, la résilience des Beyrouthins.
La variété des traitements photographiques et des sujets abordés permettent au visiteur de comprendre comment tout est lié, et combien « le feu, sans qui la vie ne serait pas, s’est graduellement transformé en une arme de destruction massive », comme l’écrit F. Monteiro dans son intention artistique. Au sortir de l’exposition, l’objectif du Prix Pictet est atteint : « Exploiter le pouvoir de la photographie afin d’attirer l’attention sur des problèmes cruciaux de durabilité qui menacent l’humanité et la planète que nous partageons avec le reste du monde naturel ».
Matières à réflexion
En tant qu’acteurs crédibles dans la lutte contre le changement climatique, les institutions culturelles s’investissent de plus en plus dans la formation du citoyen, en facilitant l’explication de concepts complexes et l’activation de meilleures pratiques à titre individuel ou collectif, grâce à des scénographies éco-responsables de plus en plus interactives et attractives.
· La data-visualisation au service des objectifs de développement durable prend une place grandissante, sous l’impulsion des techniques de Design Thinking couplé à l’intelligence artificielle et aux projections immersives. L’exposition « Designing Peace » en cours au Cooper Hewitt de New-York, en fait une synthèse des meilleures pratiques appliquées à l’élaboration de la paix. Voir mon commentaire dans Muzeodrome N°131.
· La conception et le cycle de vie d’expositions éco-responsables entrent désormais dans les pratiques, avec des matériaux prévus pour un usage long terme et des possibilités de réemploi envisagées dès la conception. Un usage secondaire par d’autres membres de la collectivité fait désormais partie du cycle de vie, comme ce sera le cas du tunnel immersif du Quai des Savoirs donné prochainement à une école. Une nouvelle salle immersive, encore plus durable par la souplesse de sa conception et ses nouveaux matériaux, sera envisagée pour les prochaines expositions.
· Les actions en faveur du climat dans les musées passent désormais par trois piliers : le pilier durabilité (optimisation de ses ressources propres, stratégie et suivi des actions), le pilier social (défis liés aux personnes, en interne comme en externe en lien avec les visiteurs et partenaires), et le pilier écologique (enjeux de la préservation de l’environnement et de la biodiversité).
Pour aller plus loin :
· Carbonmap.org : permet de visualiser la responsabilité de chaque zone géographique et les populations les plus vulnérables
· Carbon Literacy Project for Museums — Livre Blanc en anglais publié par Arts Council England
· The sustainability Star, a model for museums, ICOM
· Carbon Inventory Project : savoir calculer son empreinte carbone en tant qu’institution culturelle. Projet annoncé le 16 juin 2023 impliquant plusieurs grands musées américains dont le Guggenheim et le SFOMA.
À consulter ou visiter :
· « Feux, Mégafeux », Quai des Savoirs, Toulouse jusqu’au 5 novembre 2023. Dans la cadre du congrès national 2023 des sapeurs-pompiers de France, le Quai des Savoirs va par ailleurs accueillir des tables rondes, ainsi qu’un village pour vivre de nouvelles expériences pratiques autour du feu.
· « Fire », Prix Pictet, Fotografiska New-York jusqu’au 16 septembre 2023. Le Fotografiska présente par ailleurs deux autres expositions de qualité : « Terry O’Neill », photographe de stars et surtout « Listen until you hear » exposition mettant en scène le « visual listening », sur laquelle je reviendrai dans un autre article dédié au son. Le Fotografiska, concept de musée dédié à la photographie, est par ailleurs présent à Stockholm lieu d’origine, Berlin dernier né, Tallin, Miami et Shanghai.
· « Le Grand Incendie de Londres », Museum of London : ressources scolaires en accès permanent sur le site web, expliquant l’impact d’un feu sur l’urbanisme d’une ville.
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