Expériences sonores et ICC

Quand tout est repensé

Elisa GRAVIL , Museovation
8 min readSep 11, 2023
Affiche de l’expérience immersive créée par Tamanoir pour l’Opéra de Paris

Le son a connu ces dernières années des avancées spectaculaires mettant à disposition des institutions culturelles et créatives (ICC) des solutions de haute technologie, désormais accessibles financièrement (à tester chez soi avec l’expérience Listeningtree). Mais plus que ces avancées techniques, c’est la nécessité d’accompagner plus finement les nouveaux storytelling immersif qui confère au son une nouvelle dimension. Des casques itinérants pour narration spatialisée dans les expositions de musées (cf. “Japan Supernatural” du Art Gallery of New South Wales Sydney Australie ou le Confident de l’Hôtel de la Marine), jusqu’aux scènes de concert hors-normes, le son est désormais partout, sous de multiples formes, afin de servir tous les publics. Car le son se ressent, tout autant qu’il s’entend !

Seront abordés dans cet article les expériences suivantes :

· L’exposition sonore inclusive « Musical Thinking » au SAAM de Washington DC

· L’audition par conduite osseuse de Losonnante et des smart-lunettes

· La nouvelle expérience immersive de Tamanoir pour l’Opéra Garnier

· Les concerts au sein de la Sonic Sphere, donnés au Shed de New-York

Toutes les parties soulignées conduisent vers de nouveaux contenus.

« Musical Thinking » où comment rendre inclusive une exposition sur le son

Cet été, le Smithsonian American Art Museum de Washington DC présentait une exposition intitulée « Musical Thinking : New Video Art and Sonic Strategies ». Celle-ci avait pour ambition de démontrer l’importance de la musique populaire américaine dans la création vidéo, « puissant vecteur pour évoquer des souvenirs, capter l’attention et provoquer la réflexion ».

Dès l’arrivée, un plan sensoriel (sensory map) est mis à disposition des visiteurs, signalant les différents points et modalités possibles d’interaction avec les œuvres. Le mobilier haptique le plus inattendu consiste en des banquettes vibratoires en phase avec la bande son de chaque vidéo projetée. Par exemple, chaque tir de pistolet de l’oeuvre musicale de Ravon Chacon peut être violemment ressenti dans son corps (effet très puissant pour un entendant car redondant avec le son et l’image). Quand il y a des paroles, chaque vidéo est sous-titrée. En scannant un QRcode présent sur tous les cartels, le visiteur peut accéder à une audio description sonore de chaque œuvre et bénéficier selon son niveau de handicap d’une version en ASL (American Sign Language).

Les œuvres ont globalement été choisies pour la variété des interactions qu’elles procurent. Ainsi l’œuvre de Martine Gutierrez intitulée « Clubbing » est une célébration de la façon dont la musique peut être un espace libérateur. Poursuivant le concept jusqu’au bout, le musée a conçu une piste de danse haptique lumineuse, en partenariat avec Motion Light Lab (groupe de conception dirigé par des sourds). Lorsque que les visiteurs marchent dessus, ils peuvent ressentir la musique de la vidéo diffusée à travers leurs pieds. Les lumières se déplacent en rythme avec le groove très rythmé que l’artiste a conçu pour sa vidéo.

Au-delà de l’évocation de souvenirs, plus puissants pour les Américains que les touristes de passage, cette exposition est remarquable par le travail d’intégration des personnes malentendantes, reconnaissant ainsi que la musique peut être expérimentée dans des registres très différents.

Diverses vues de l’exposition sur le son au Smithsonian American art Museum de Washington DC : carte sensorielle, banquette vibratoire, piste de danse
Photos de l’exposition par ©Museovation et copie d’écran de la carte sensorielle et de l’application en ASL du SAAM

L’audition par conduite osseuse de Losonnante, une médiation sonore à suivre dans le futur

L’exposition précédente aurait pu intégrer la Losonnante, désormais bien installée dans le paysage expographique muséal français (Cf Histoire de Punch l’éléphant au Museum de Toulouse). Ce dispositif de prime abord silencieux, a la particularité d’utiliser une autre manière d’entendre selon le principe de propagation de vibrations par conduite osseuse (osthéophonie). En apposant ses coudes sur une borne, et en rapprochant les mains de ses oreilles, on peut percevoir divers sons qui se propagent tout au long du corps. Cette forme d’écoute adaptée aux personnes malentendantes, peut être installée au milieu d’un espace d’exposition. Par la sollicitation du corps, elle favorise une concentration de l’auditeur et peut être une expérience partagée à deux. La variété des bornes permet d’installer ce mobilier en intérieur ou en extérieur, sur pied ou intégré à un mobilier spécifique.

La conduite osseuse va devenir un élément central des prochaines expériences avec le développement des lunettes connectées. Actuellement sur le marché, les lunettes « Rayban Stories » développées par Meta-Facebook et Luxottica diffusent du son par le même principe, le long des branches des lunettes. Vous pouvez donc écouter de la musique envoyée en wifi par votre smartphone, par l’intermédiaire d’une application dédiée, sans que votre voisin soit importuné. Ce genre de lunettes pourrait à l’avenir devenir un outil courant de médiation pour les visiteurs de musées. Elles présentent en effet l’avantage de dégager les mains, à la différence de l’audioguide, d’être très légères à la différence de certains casques, de proposer une écoute sonore individuelle sans gêne pour le reste de la salle, et in fine, dans les versions futures de proposer la projection de contenus supplémentaires en réalité augmentée sur les œuvres (traductions, parties manquantes, objet ouvert, infrarouge de tableaux, repentis etc…). C’est le concepteur de puces Qualcomm qui en a donné la version la plus élaborée pour l’instant lors de sa dernière conférence annuelle en novembre 2022. Mais leur diffusion ne sera pas avant deux ou trois ans.

deux enfants écoutant la Losonnante, Losonnnate in situ Museum de Toulouse et en extérieur d’un chateau, lunettes connectées Rayban Stories et Qualcomm
Diverses copie d’écran du site de la Losonnante- Smart Lunettes à conduite osseuse

« À quelques pas du monde », entre lumière, musique et danse à l’Opéra Garnier

Tout le mois de septembre, l’Opéra Garnier propose une expérience immersive sonore et lumineuse, créée par Tamanoir Immersive Studio, incubé au 104 Factory, et lauréat de l’appel à projet 15–25 ans du CNC en faveur du développement des jeunes publics. L’expérience se déroule sous l’impulsion d’une voix qui va guider un groupe de 6 à 10 personnes équipées d’un casque au son spatialisé. La narration fait référence à l’histoire du lieu qui est mis à l’honneur dès l’extérieur du bâtiment, sur une immense fresque de JR, montrant une cascade qui aurait été présente sur les lieux avant la construction de l’Opéra.

Les amateurs du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux se souviendront du cours d’eau dit de « Grange-batelière » qui aurait alimenté la création du lac souterrain destiné à drainer le sol marécageux et prévenir les potentiels incendies de décors.

Tamanoir utilise cette légende pour créer un parcours incitant le visiteur à écouter ses sensations et mettre son corps en mouvement, stimulé par une bande son très riche et multi-sensorielle (les évocations de l’eau en cette période de canicule étaient particulièrement bien venues). Si le texte semble un peu érudit au départ, il emporte pourtant petits et grands qui se désinhibent rapidement et se laissent aller à quelques pas de danse. Seul point d’achoppement, le parcours visiteur, tant pour l’obtention des tickets (il faut s’inscrire deux fois, à la visite en autonomie de Garnier à 15€, puis à l’expérience en elle-même), que sur place, où trouver l’endroit est un parcours du combattant, aucun surveillant n’étant au courant ! Un conseil : face au grand escalier, passez sous le portique signalant l’Amphithéâtre (entre les grandes statues) et dirigez-vous vers la gauche, au fond. Avec un peu de chance vous tomberez sur le kakémono ci-dessous. Bonne découverte !

Évocation par JR sur la façade, et par Tamanoir à l’intérieur, de la cascade originelle qui existait à l’emplacement de l’Opéra Garnier

Sonic Sphere, concerts dans une bulle au centre de la musique

The Shed, la salle de spectacle avant-gardiste de New-York, proposait cet été une série de concerts qui se déroulaient dans une sphère suspendue à 15 mètres au-dessus du sol. Onzième prototype d’une salle de concert créée à l’origine pour l’expo universelle d’Osaka dans les années 70, elle est la plus avancée en termes technologiques. Environ 250 spectateurs peuvent s’y installer, soit au centre allongé dans un nid, soit autour, dans des filets remplaçant les fauteuils (pour alléger la structure et pour permettre une diffusion maximum du son dans votre squelette en position semi-allongé). La sphère est elle-même gainée d’une matière qui permet de réfléchir le son de manière idéale, ce qui procure un effet particulièrement immersif lors du concert. À cela s’ajoute des effets de lumière qui sont synchronisés en trois dimensions avec la musique, diffusée par 100 haut-parleurs placés autour de la sphère.

Particularité du programme, la variété des artistes présentés (j’ai assisté au concert du groupe anglais de The XX,), mais également des sessions expérimentales conçues comme un laboratoire des sens. De la danse, au débat intellectuel, en passant par la création de musique de manière itérative et collective, la session est guidée par le collectif Sonic Sphere composé de divers musiciens et chanteurs, de DJ, d’ethnomusicologues ou encore de sound designers, avec pour ambition de d’inventer des outils toujours plus performants pour interagir avec la sphère et créer pour elle.

Salle de concert en forme de sphère géante à trous coloriés en rouge puis bleu, permettant d’accueuillir des spectateurs en son centre The Shed New-York — nid réalisé en filet expérience teamLab Borderless Japon
Photos Museovation de la Sonic Sphere au Shed New-York, Nid de l’expérience teamLab Japon

La conception hors-sol, les filets en guise de fauteuil et l’impact de la lumière projetée au rythme d’un son spatialisé rappellent l’agencement de l’expérience créée par Hideaki Takahashi pour le collectif teamLab dès 2018. The Nest (le Nid) est une des plus petites salles du grand complexe immersif « Borderless », initialement sur l’île d’Odaïba et désormais à Azabudai Hills au centre de Tokyo. Caché tout au fond et accessible seulement à une quinze de personnes maximum, il propose de vivre une expérience comparable au déplacement des bancs de poissons, allongé dans un nid flottant au centre d’un espace, dans une semi-pénombre, baignée de projections lumineuses. L’œuvre commence lorsqu’un banc de poissons, « The Way of the Sea », traverse une forêt de fleurs et entre dans le nid flottant. La particularité réside dans le fait que tous les spectateurs ondulent en fonction de l’impact des déplacements de chacun dans le filet, ce qui accroit l’effet d’immersion, le visiteur ne sachant plus s’il est homme ou poisson.

« Le banc de poissons n’a ni chef ni consensus mutuel, mais se déplace sur la simple base du principe suivant : “Si mon voisin bouge, alors je bouge aussi”. Et ce déplacement reste à ce jour toujours inexpliqué. » Hideaki Takahashi

Conclusion

· L’immersion sonore devient désormais un incontournable dans les institutions culturelles afin de créer des expériences multi-sensorielles partagées et impliquant une sollicitation complète du corps.

· Les nouvelles technologies de son spatialisé permettent cet hyperréalisme de l’écoute, musique, bruits ou voix entourant le visiteur de tous côtés et permettant une prise de conscience complète de son déplacement dans l’espace.

· Pour répondre à ces expériences immersives, il est désormais nécessaire de créer de nouvelles configurations de lieux, afin d’optimiser l’immersion du visiteur ou permettre sa déambulation, comme dans le cas de l’opéra Garnier.

· La possibilité de ressentir la musique et tous types de sons de diverses manières (entre autres par conduite osseuse) permet d’inclure tous les publics dont les malentendants. Mais de nouveaux moyens de médiation restent à mettre au point avec l’aide des personnes concernées, comme dans le cadre de la collaboration du SAAM.

Museovation réalise une veille exhaustive, documentée et “vécue” des expériences muséales usant de nouveaux procédés technologiques tels que les nouvelles pratiques et médiations autour du son comme dans cet article, ce afin d’accompagner ses clients dans leur développement stratégique et AMO de leur projet, en partenariat avec différents experts selon les besoins.

🔊 N’hésitez-pas à nous contacter si vous avez un projet en cours de réflexion : contact@museovation.co

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Elisa GRAVIL , Museovation

CEO of #Museovation. Love to share my experiences with others about digital transformation in cultural institutions. Let’s get in touch on Twitter: @ElisaGravil