Photo de la Conférence sur la définition du musée.©Museovation

Comment définir un musée ? (#museums2019-Part 1)

Elisa GRAVIL , Museovation
7 min readOct 10, 2019

Cet article est le premier d’une série de cinq articles restituant les présentations et débats de la Conférence annuelle de la Museums Association, U.K., Brighton 2019.

La conférence annuelle des musées anglais contrastait fortement avec l’atmosphère beaucoup plus feutrée des réunions de musées telles qu’on les connait en France. Particulièrement intense, tant par l’enjeux des questions soulevées, que par l’atmosphère très militante des animateurs ou intervenants, elle a permis d’affronter les problématiques qui secouent les musées anglophones : rejet de la nouvelle définition de l’ICOM à Kyoto, décolonisation, accessibilité, responsabilité sociale et environnementale et enfin formation digitale. En voici le premier compte-rendu concernant le rejet de la nouvelle définition du musée à Kyoto en septembre de cette année.

Inquiétude sur le report du vote de l’ex-nouvelle définition du musée par l’ICOM

Pour aborder ce point étaient invités : Jette Sandahl, Chair European Museum Forum et membre de l’ICOM en charge de la nouvelle définition, Dr Errol Francis, Artistic director et CEO de Culture&, Richard Sandell, Professor of Museum Studies, Leicester University (dont nous commenterons l’intervention dans un autre article sur l’accessibilité).

Bien que s’étant largement exprimés contre le “verbiage” de l’ex-nouvelle définition, les musées anglais dans leur grande majorité étaient en faveur des valeurs exprimées par celle-ci ( cf article: Rift emerges over ICOM’s proposed museum definition).

Capture écran du compte ICOM U.K.

Par la voix de leur porte-parole Sharon Heal (Directrice de Museums Association), ils n’ont pas caché leur désapprobation et leur inquiétude sur le report du vote. L’onde de choc ressentie à Kyoto risque d’enterrer le projet alors qu’il y a urgence à actualiser la définition de 2007 désormais dépassée, d’avis général même hors Angleterre. Persuadés d’être dans le vrai concernant le rôle du musée dans la société, ils comptent bien être force de proposition pour continuer les discussions. Ils n’entendent pas renoncer aux valeurs présentes dans l’ex-nouvelle définition : ouverture, co-construction, responsabilité sociale et environnementale ainsi qu’humanisme.

“We need to be a welcoming space and not shy away from those difficult discussions [en reference aux enjeux du Brexit] and not place them in another space. I think we also need to not have a conversion about what is a museum in the abstract. We need to do it with the whole society and with our communities. Ask people, as we need to have a variety of views, and we need to have this conversation not just here in the safety of this room but out there, in society […] What this ICOM discussion unlocked is that question of what a museum is, and what role it takes place in our society.”

Il est à noter qu’un grand nombre de t-shirts “Museum are not neutral” étaient fièrement arborés par les participants, montrant ainsi leur totale adhésion aux enjeux soulevés.

Capture-écran de tweets de la conférence de Brighton autour de l’absence de neutralité du musée

Comment explorer le potentiel du musée à l’intérieur de sa forme

Pour Jette Sandahl, si le mot musée est relativement facile à définir d’un point de vue pratique malgré la complexité des éléments qui le composent, il est beaucoup difficile à définir d’un point de vue éthique.

“What a museum is, is defined both through what it does, how it does it, and not least why it does it. I disagree with people who claim that one can separate what museums are, for what their purpose or mission is.”

Répondant très certainement aux critiques qui lui ont été faites à Kyoto sur l’absence de continuité avec les définitions et visions précédentes de l’ICOM, elle compare le rejet de l’ex-nouvelle définition au rejet des premières visions sociales du musée dans les années 70.

“The fundamental and inbuilt social purpose of museums is well documented through museum history. While the balance between these areas is continuously contested and re-negotiated, their interconnectivity and their integrated whole remain principally and categorically essential for the museum field and for the definition of museums. When the phrase “in the service of society” was added to the ICOM definition in the 1970’s, it was a contentious phrase considered by some an undue politicization of the museum sector. I believe the current disagreement and the current conflict over new museum definition are very much about the attempt to interpret, to fill in, to concretize what that phrase means in our time.”

Elle poursuit en s’appuyant sur une vague croissante de musées qui se refusent à prendre position entre la vision classique de conservation et la vision sociale du musée, mais qui éprouvent néanmoins le besoin d’un guide que pourrait porter la future définition.

“Increasingly, museums playing the position of both ends, claim that they can and will address their societal commitments exactly through this specific and unique museum’s function and methods. But with this position, they also voice the need to have these functions contextualized and anchored and embedded in an ethical base of clearly expressed social values and purposes that are now completely absent from the current museum definition.”

Enfin, elle rappelle un autre grand courant qui traverse les musées : celui du participatif, de l’absence de frontière entre le musée, ses visiteurs (devenus “participants”) et la société. Pour Mme Sandahl, ceci n’est pas incompatible avec le rôle d’expert qui a été toujours été celui du musée. Il est à noter qu’elle ne cite aucune zone géographique ou aucun musée en particulier pour illustrer son propos.

“The growing position that the outreach, the in-reach, the demands for countability, the participatory platforms are fully compatible with the role of an expert institution. Museums seem increasingly aware of, confident in, that they can navigate the complex issues of the twenty first century from a transparent base of social values and societal commitment.”

Jette Sandahl termine son intervention en citant les trois points essentiels qui à ses yeux doivent impérativement faire partie de la future définition, parce qu’absent dans celle de 2007 :

1. Le besoin de répondre à la crise climatique et celui d’endosser des pratiques responsables pour répondre aux relations de l’homme à son environnement.

2. La nécessité de rétablir les équilibres de pouvoir, de richesse, de race, de genre globalement, nationalement et localement.

3. L’urgence de s’atteler de manière épistémologique au sens des différents mots utilisés et explorer systématiquement des principes et des pratiques alternatives qui répondent aux attentes croissantes de démocratie et de participation culturelle, domaines qui sont, pour Mme Sandahl, inadéquatement évoqués sous le terme “ouvert au public” dans la définition actuelle.

Elle termine en appelant de ses vœux le fait que chaque musée trouve un moyen d’intégrer, avec ses particularités, les objectifs et valeurs citées ci-dessus et reste persuadée que cela est possible contrairement aux arguments qu’on lui a opposés à Kyoto.

“The important and fundamental issue for me is of course that museums develop their working method and address these issues from exactly each their particular perspective rooted in their particular collection, their particular location, their unique knowledge, expertise, and skills.”

La question de la définition du musée est une question post-coloniale.

Pour Dr Errol Francis, elle nécessite de revenir à l’origine du mot même : le musée d’Alexandrie était d’abord un lieu de débat avant que de devenir le cabinet de curiosité, emblème de richesse et de pouvoir, essentiellement d’hommes blancs. Ce modèle de musée est un modèle accusateur, il faut donc s’en éloigner en dépassant le principe de musée-collections, citant au passage le philosophe français Baudrillard pour soutenir son propos.

Evolution du musée du Mousein au Wunderkammer

Dr Errol Francis s’est félicité de la redéfinition de la notion “d’objets” dans l’ex-nouvelle définition, prenant pour exemple les musées sans collection, la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise ou le Musée de Demain de Rio de Janeiro qui vont au-delà du système des objets.

“A museum that has no collection is a place of exchange where people can dialogue. A museum is not a house for preservation of objects but discussions”

Dr Errol Francis oppose la contemplation occidentale de l’objet à l’empathie du savoir et le témoignage des peuples. Il est également très en faveur du musée virtuel comme vecteur de cette empathie, citant l’expérience “Cyborgs” de la Wellcome Collection en mars de cette année, où les participants ont eu l’opportunité d’échanger sur la manière dont ils envisageaient le monde, de repenser la classification des objets et des civilisations, d’effacer les frontières entre art et héritage.

Photos de la soirée Cyborgs à la Wellcome Collection, Londres Mars 2019

Dr Errol Francis termine en insistant sur la nécessité de poursuivre les interrogations autour d’une nouvelle définition du musée :

“What kind of museum do we need now? What kind of museum does the society need now? Where do we draw the lines? We must hold true to non-negotiable issues.”

To be continued- #museums2019-Part 2- De la décolonisation du musée

Dessin de Brighton: Palace museum et bord de plage Photo ©Museovation

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Written by Elisa GRAVIL , Museovation

CEO of #Museovation. Love to share my experiences with others about digital transformation in cultural institutions. Let’s get in touch on Twitter: @ElisaGravil

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